Si le nouveau locataire de Matignon est un homme d’État modéré et expérimenté qui rassure les marchés financiers, la tâche qui lui reste à accomplir n’en est pas moins ardue.
La nomination de Michel Barnier comme premier ministre apporte une réponse au moins provisoire à la crise institutionnelle ouverte par la dissolution. Elle remet un peu de raison dans un quinquennat privé de sens par le narcissisme, l’irresponsabilité et l’irrésolution d’Emmanuel Macron. Michel Barnier est un homme d’État modéré et expérimenté, qui maîtrise les arcanes du Parlement français comme de l’Union. Le pilotage réussi du Brexit a démontré ses talents de négociateur et lui assure une excellente réputation auprès des dirigeants européens comme une forte crédibilité vis-à-vis des marchés financiers. Il dispose donc des qualités et du positionnement qui peuvent lui permettre de remplir la mission a priori impossible de conduire jusqu’à la prochaine dissolution une France rendue ingouvernable par les élections législatives de juillet dernier.
Pour autant, la mise en place du nouveau gouvernement ne résout ni la crise politique, ni la crise sociale, ni la crise économique et financière qui dominent un quinquennat placé sous le signe du chaos. Les attentes des Français, des entreprises, des marchés, de nos partenaires européens et de nos alliés vis-à-vis de Michel Barnier se résument ainsi à un mot, la stabilité, qu’il s’agisse des institutions, de l’ordre, des comptes ou des services publics. Et ce, afin de redonner de la visibilité et de la confiance à un pays, des acteurs économiques et sociaux, des citoyens plongés dans la confusion et le désarroi par celui-là même qui était censé être le garant de la nation.
Michel Barnier a placé sa prise fonction sous le signe de la rupture, incarnée dans la vérité et le respect. Ce revirement comme sa capacité à gouverner subiront d’emblée un test impitoyable avec la gestion de la crise des finances publiques, qui constitue l’essentiel du bilan de Gabriel Attal et Bruno Le Maire. Une crise sans précédent depuis 1983, qui vit la France au bord de devoir solliciter l’aide du FMI et contraignit François Mitterrand à opérer le tournant de la rigueur.
Sous la fête des JO de Paris 2024 pointe une implosion des finances publiques françaises, qui n’est pas sans rappeler les Jeux d’Athènes en 2004, prélude à la faillite de la Grèce en 2009. La devise de la France en 2024 fut des Jeux et des dettes. Les Jeux sont finis, restent les dettes. Le déficit public, annoncé comme devant tendre vers 3 % du PIB en 2027, est estimé à 5,6 % en 2024, 6,2 % en 2025, 6,7 % en 2026, 6,5 % en 2027. La dette publique s’élèverait alors à 124 % du PIB au lieu de 108 %, pour une charge annuelle dépassant 90 milliards d’euros.
En l’état, la dette publique française est insoutenable, dès lors que la croissance nominale est inférieure aux taux d’intérêt. Et ce d’autant que la dette des entreprises atteignait 150 % du PIB fin 2023, que le déficit public a pour pendant un déficit commercial de 100 milliards d’euros et que la position extérieure nette de note pays est négative de plus de 800 milliards d’euros. À trajectoire inchangée, la France est donc condamnée à subir un choc financier majeur, comparable à ceux subis par l’Italie en 2011 ou le Royaume-Uni en 2022, qui s’élargira en crise de la zone euro compte tenu de la dimension systémique de notre pays.
La relative indifférence des marchés, qui n’ont augmenté que de 20 points de base la prime de risque de notre pays par rapport à l’Allemagne depuis la dissolution, ne doit pas faire illusion. Elle est toute provisoire, car liée à la priorité portée aux États-Unis avec la révision de la stratégie de la FED et surtout l’élection présidentielle du 5 novembre prochain. Surtout, les quatre protections qui ont bénéficié à la dette française ont disparu. La stabilité politique que garantissaient les institutions de la Ve République a volé en éclats avec la dissolution. L’exactitude et la sincérité des comptes ainsi que la précision de leur pilotage par Bercy sont caducs depuis l’automne 2023. Les recettes fiscales qui atteignent 52,5 % du PIB plafonnent du fait de la stagnation de l’activité et de leur concentration extrême sur une petite partie de la population et des entreprises. La longue indulgence de nos partenaires européens est terminée, comme le montrent l’ouverture de la procédure pour déficit excessif en juillet dernier et l’opposition de l’Allemagne à ce que la France puisse recourir au Mécanisme européen de stabilité en cas de crise financière.
La reprise de contrôle des finances publiques constitue donc la priorité absolue du gouvernement dirigé par Michel Barnier. Il devra agir très vite et très fort, compte tenu du coût des errements d’Emmanuel Macron et de la paralysie du gouvernement Attal qui peut être évalué à 57 milliards d’euros pour 2024 en termes de dérive des dépenses et de moins-values des recettes. Et ce, autour de trois échéances aussi décisives que difficiles : le plan budgétaire et structurel à horizon 2027 dont la transmission est demandée le 20 septembre par la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déficit excessif ; la loi de finances pour 2025 qui doit aux termes de la Lolf être déposée à l’Assemblée nationale le 1er octobre ; le réexamen de la situation financière de la France par les agences de notation à partir de fin octobre.
Non seulement Michel Barnier ne bénéficiera d’aucun état de grâce, mais il va être immédiatement confronté à une épreuve très dure. Elle peut aussi être sa chance s’il passe des mots aux actes et s’il assume de tenir en discours de vérité pour mettre devant leurs responsabilités la classe politique comme les citoyens. Vérité sur les comptes publics tout d’abord, et notamment sur les comptes sociaux. Vérité sur leur dérive qui est tout entière due à l’explosion des dépenses et à leur inefficacité croissante. Vérité sur les retraites qui mobilisent déjà 14,4 % du PIB contre 11,9 % dans la zone euro et dont le déficit se creuse alors qu’il est intenable dans un système de répartition sauf à spolier les générations futures. Vérité sur les impôts qui sont les plus élevés du monde développé et qui ne peuvent être augmentés sauf à détruire le peu de croissance qui subsiste, comme l’ont montré les chocs de 1995, orchestré par Alain Juppé, et de 2011-2012, mis en œuvre par Nicolas Sarkozy et François Hollande. Vérité enfin sur le choix cardinal qui se présente aux Français entre le déclassement et le renouveau.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lefigaro.fr
Chronique parue dans Le Figaro du 8 septembre 2024