La dissolution prononcée par Emmanuel Macron a d’ores et déjà des conséquences sur l’Union européenne: elle retarde la mise en place des nouvelles institutions et provoque un effacement sans précédent de la France dans les processus de décision communautaires.
Les élections européennes n’ont pas déclenché la déferlante attendue de l’extrême droite au Parlement, excepté en France avec la victoire écrasante du RN. Par sa décision insensée de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a transformé un ultime avertissement lancé par les Français à leurs dirigeants en arme de destruction massive de notre démocratie, ouvrant grand la voie à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Les répliques du séisme télescopent aussi l’Union européenne en retardant la mise en place des nouvelles institutions et en provoquant un effacement sans précédent de la France dans les processus de décision communautaires.
Les élections européennes de 2024 se traduisent par une inflexion et non pas une révolution du Parlement. Le PPE sort renforcé avec 190députés et occupe désormais une position centrale. Les centristes de Renew (80sièges contre 102) et les Verts (52sièges députés contre 71) sont les grands perdants. Le vrai visage du Parlement dépendra cependant de la structuration des trois pôles d’extrême droite (ECR, ID et NI avec respectivement 83, 51 et 31députés). Leur rapprochement éventuel autour du groupe ECR conduit par Giorgia Meloni est suspendu aux résultats des élections législatives françaises et à la possible accession du RN au gouvernement.
Avant la dissolution de l’Assemblée, le scénario privilégié était la reconduction d’Ursula vonderLeyen par la même majorité au prix d’un infléchissement à droite sur l’environnement et l’immigration. En cas de victoire du RN et d’un accord avec ECR, le PPE pourrait être tenté par une alliance des droites. Le paradoxe veut ainsi que la mise en place du nouveau Parlement européen est conditionnée par les élections législatives françaises, alors même que la France a perdu toute influence en raison de sa faible présence au sein des groupes qui formeront la future majorité.
Pour les mêmes raisons, le Conseil européen a échoué à conclure sur la nomination des postes clés de l’Union. Lors du G7, Emmanuel Macron et Olaf Scholz s’étaient accordés sur la désignation d’Ursula vonderLeyen (PPE) comme présidente de la Commission, Antonio Costa (socialiste) à la tête du Conseil européen, Roberta Metsola (PPE) comme présidente du Parlement pour deux ans et demi avant de céder la place à un socialiste, Kaja Kallas (Renew) en tant que haut représentant de l’UE. Là encore, Giorgia Meloni, écartée des discussions informelles, a bloqué toute décision dans l’attente du résultat des élections françaises. Et ce, au moment même où la Hongrie de Viktor Orban prend à partir du 1erjuillet et pour six mois la présidence de l’Union avec pour slogan «Make Europe great again», en écho aux élections présidentielles américaines où Donald Trump fait plus que jamais figure de favori.
Giorgia Meloni acte ainsi la perte d’influence du moteur franco-allemand en panne sèche, tout en se vengeant d’Emmanuel Macron qui l’avait humiliée à ses débuts en prétendant la placer sous surveillance. Elle prolonge son succès lors du sommet du G7 organisé à Borgo Egnazia en présence du pape François, qui a décidé une aide de 50milliards de dollars pour l’Ukraine financée par les revenus des avoirs russes gelés, le soutien au plan Biden pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza, le renforcement de la lutte contre les migrations irrégulières et la mise en place d’un plan d’action pour l’intelligence artificielle.
Le sommet européen a surtout entériné la marginalisation de la France et sa mise au ban de l’Union en raison des risques financiers, sociaux et politiques qu’elle présente pour elle-même comme pour la construction européenne.
C’est désormais la France qui se trouve sous étroite surveillance. Des agences de notation avec la dégradation de sa signature. De la Commission européenne qui a ouvert une procédure pour déficit excessif à la suite de son dérapage à 5,5% du PIB en 2023. De la BCE qui exige une diminution de la dette qui atteint 3100milliards d’euros et qui resserre sa supervision sur les banques françaises en demandant une comptabilisation plus rigoureuse des crédits immobiliers. Alors que 25milliards d’euros d’économies seraient nécessaires pour tenir la cible d’un déficit de 4% du PIB en 2025, les trois blocs qui s’affrontent lors des législatives prévoient tous des dépenses supplémentaires non financées, à hauteur de 1% à 1,5% du PIB pour le centre, 3% à 3,5% du PIB pour le RN, 5% à 6% du PIB pour le Nouveau Front populaire. Ceci rend inévitable un choc financier majeur qui s’étendra aux banques et aux assurances qui portent 350milliards de dette française, puis à la zone euro au sein de laquelle la France possède une dimension systémique. Le pari délirant de la dissolution ne menace pas seulement de ruiner notre économie mais aussi de faire éclater l’euro, ce que nos partenaires n’entendent pas nous laisser faire. Pas plus que les marchés, ils ne feront preuve de la moindre indulgence. Le temps de l’impunité est terminé.
Le basculement de notre pays dans une instabilité politique chronique crée également une forte incertitude sur sa ligne diplomatique et stratégique, tout particulièrement sur sa position vis-à-vis de la menace existentielle que représente la Russie, de la guerre d’Ukraine et de la sécurité de l’Europe. Une cohabitation entre Emmanuel Macron et Jordan Bardella poserait des questions inédites sur la ligne et la conduite de la défense, de la diplomatie et du renseignement, dès lors que, contrairement à 1986 et 1997, les deux têtes de l’exécutif ne partageraient pas des valeurs communes et une vision identique des intérêts fondamentaux de la France.
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Chronique parue dans Le Figaro du 24 juin 2024