La France n’a résisté à la vague populiste qui aurait dû l’atteindre dès la décennie 2010 que par la solidité de ses institutions et par la discipline républicaine des partis de gouvernement. Mais Emmanuel Macron a démoli ces digues pour préparer méthodiquement l’arrivée du RN au pouvoir.
La France s’inscrit le plus souvent à contre-courant des évolutions des démocraties développées. Ainsi, le général de Gaulle fonda-t-il une monarchie républicaine singulière parmi les régimes parlementaires européens et conduisit-il une politique de l’offre au cœur de l’ère keynésienne. François Mitterrand étatisa l’économie et entreprit une relance en pleine récession mondiale et en opposition avec le cycle des réformes libérales, jusqu’à placer notre pays aux portes du FMI, ce qui imposa le tournant de la rigueur de 1983. Ses successeurs financèrent par l’explosion de la dette la pérennisation du modèle d’économie administrée ainsi qu’un mode de consommation à crédit. Aujourd’hui, avec la victoire écrasante du Rassemblement national lors des élections européennes qui le place en situation de force pour les législatives, la France est rattrapée par la vague populiste lancée par le Brexit et l’élection de Donald Trump, à laquelle elle avait résisté dans les années 2010.
Les élections européennes de 2024 marquent un tournant historique puisque, même dans les années 1930, l’extrême droite n’avait jamais réuni 40% des suffrages en France à la suite d’élections régulières. Le score réalisé par le RN est indissociable de sa transformation, réalisée par Marine LePen. Le RN n’est plus un parti fasciste, favorable à une révolution autoritaire, ouvertement raciste et antisémite, hostile aux institutions et aux élites, cultivant la violence. Il se présente et il est perçu comme le parti de la stabilité et de l’ordre, ce qui lui permet d’attirer électeurs et élus, notamment LR, autour d’une stratégie d’union des droites. Il n’est plus un parti de protestation mais d’adhésion. En tête dans tous les départements sauf trois, dans 93% des communes, dans toutes les classes d’âge et les catégories professionnelles, il occupe une position centrale. À l’instar du parti gaulliste des années 1960, il ressemble au métro des heures de pointe.
La percée du RN est indissociable de sa mue d’une formation d’extrême droite en un parti populiste. Et ce au moment même où la vague populiste reflue en Europe orientale, qu’il s’agisse de la Pologne, de la Hongrie ou de la Slovaquie, mais aussi au Royaume-Uni avec les désillusions du Brexit et le choix de dirigeants modérés pour le Labour comme pour le Parti conservateur, libérés du radicalisme de Jeremy Corbyn et Boris Johnson. Et ce au moment même où s’affirme en Europe de l’Ouest un post-populisme, inventé en Italie par Giorgia Meloni.
La France connaît donc, avec une décennie de retard par rapport aux démocraties développées, son moment populiste. Il répond à une forme de logique car notre pays, par son refus de se moderniser qui l’a enfermé dans une interminable spirale de déclin, présente toutes les pathologies qui en constituent le terreau: stagnation économique, chômage de masse, paupérisation des classes moyennes, marginalisation de pans entiers du territoire, désarroi identitaire, explosion de l’insécurité, paralysie des institutions, défiance envers la classe politique.
La France n’a résisté à la vague populiste qui aurait dû l’atteindre dès la décennie 2010 que par la solidité des institutions de la VeRépublique et par la discipline républicaine qui était partagée par la droite et la gauche de gouvernement. Mais Emmanuel Macron a démoli ces digues pour préparer méthodiquement l’arrivée du RN au pouvoir.
Le président de la République a amplifié le décrochage économique en poussant à l’extrême le modèle de la décroissance à crédit, endettant le pays de plus de 1000milliards d’euros qu’il a dilapidés en usages improductifs. Il a amplifié le sentiment de dépossession de la classe moyenne en perdant le contrôle des comptes de la nation, de l’ordre public, de l’immigration. Il a isolé et affaibli la France par ses errements et ses initiatives inconsidérées, prenant des risques diplomatiques et stratégiques démesurés sans mettre en place les moyens militaires de les garantir.
Dans le même temps, il a légitimé le RN en l’érigeant en adversaire-partenaire privilégié, nourrissant le crocodile qui était censé assurer sa survie et qui a fini par le dévorer. Il a miné le bloc central sur lequel il prétend s’appuyer en sapant la droite et la gauche de gouvernement. Il a retiré les deux verrous qui contenaient la poussée de l’extrême droite. Alors qu’il était censé être le garant des institutions, il a détruit les fondements de la civilité, de l’État et de la République, installant la transgression en principe de gouvernement, dissolvant l’action dans la communication, mettant en scène un narcissisme négateur de l’intérêt général, ce qui a annihilé la condamnation du RN au nom des valeurs républicaines. Dans le même temps, l’incapacité à obtenir des résultats et la sortie de tout contrôle de la dette publique ont décrédibilisé le procès en incompétence fait aux dirigeants populistes.
Le programme du RN est très éloigné du post-populisme de Giorgia Meloni dont le succès repose sur la fermeté en matière de sécurité et d’immigration, mais aussi sur une politique économique favorable aux entreprises, sur la pleine intégration dans les institutions de l’Union européenne, sur la solidarité avec l’Otan, l’opposition à la Russie et le soutien à l’Ukraine. Le RN demeure un parti populiste des années 2010 qui n’a pas réalisé son aggiornamento pour s’adapter au basculement du monde provoqué par l’invasion de l’Ukraine, indissociable du retour d’une menace existentielle de la Russie sur l’Europe, de l’implosion de la mondialisation, de la remontée des taux d’intérêt. Mêmes révisées à la baisse par le report de l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ou 62ans, les dizaines de milliards de dépenses non financées prévues par la diminution à 5,5% du taux de la TVA sur l’énergie et les exonérations de charges sur les hausses de salaires sont insoutenables. Elles porteront le déficit public autour de 7% du PIB et la dette à 120% du PIB, ce qui se traduira par un choc sur la dette française et une tourmente sur la zone euro. L’instauration de la priorité nationale et de la double frontière comme le retrait du grand marché de l’énergie impliquent par ailleurs une rupture avec l’Union européenne.
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Chronique parue dans Le Figaro du 17 juin 2024