Alors que la mondialisation se fragmente sous la pression du protectionnisme et que la violence sort de tout contrôle, l’Europe est vulnérable. Elle se trouve enfermée dans une longue stagnation économique et a montré, sur le plan stratégique, son impuissance diplomatique et militaire.
Du 6 au 9 juin, 400 millions d’électeurs sont appelés dans les 27 pays de l’Union à élire les 720 députés qui siégeront au Parlement européen. Sous-estimé en France, le Parlement est l’institution de l’Union dont les pouvoirs ont le plus progressé durant les dernières décennies. Cette élection, traditionnellement dominée par les enjeux nationaux, se présente aussi comme un scrutin de mi-mandat pour Emmanuel Macron, le dernier avant l’élection présidentielle de 2027. En Europe comme en France, elle se déroule dans un contexte inédit et revêt une importance décisive.
L’Union européenne a été télescopée depuis 2019 par une cascade de chocs – pandémie de Covid, invasion de l’Ukraine, crise énergétique, guerre de Gaza. Elle est la grande perdante de la nouvelle ère ouverte par l’agression de l’Ukraine par la Russie, cumulant déclin démographique, stagnation économique, fuite des capitaux, vulnérabilité face à la menace existentielle de la Russie et au risque de retrait des États-Unis, divisions politiques et épuisement moral face au retour de la guerre sur le continent qui invalide ses principes fondés sur la paix par le droit et le marché.
« Les Français sont prêts à donner sa chance au Rassemblement national si la classe politique continue à rester aveugle et impotente devant la descente en vrille de la France, encensant tout ce qui la ruine et écartant tout ce qui pourrait la sauver »
La France se trouve également à un tournant. Elle s’affaisse au plan démographique (1,67 enfant par femme), économique avec le blocage de la croissance, la chute de la productivité, le chômage permanent, le double déficit commercial (3,8 % du PIB) et public (5,1 % du PIB), financier du fait d’une dette de 3 100 milliards d’euros devenue insoutenable. L’État n’assure plus les services de base et a perdu le contrôle de l’ordre public face à l’explosion de la violence, des « gilets jaunes » à la Nouvelle-Calédonie en passant par les émeutes urbaines. L’implosion du modèle de la décroissance par la dette a sapé la puissance du pays, privant sa diplomatie et sa défense de crédibilité. Face au déclin, à la montée des extrémismes, aux menaces émanant des empires autoritaires et des djihadistes, le quinquennat d’Emmanuel Macron, privé de cap, de stratégie et de majorité, renoue avec la IIIe République d’Albert Lebrun, conjuguant déni du réel, impuissance, réassurances stratégiques données sans moyens militaires pour les garantir.
Du résultat des élections européennes dépendent dès lors tant la refondation de l’Union autour de la souveraineté et de la sécurité que la possibilité pour la France de conjurer l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, qui signifierait son déclassement définitif.
Pour le Parlement européen, 2024 constituera une rupture. La coalition du PPE et des socio-démocrates, récemment étendue à Renew, qui a gouverné l’institution depuis 1979, est en fin de cycle. La montée de l’extrême droite, désormais convertie à l’Union et à l’euro, pourrait se traduire par la conquête du quart des sièges. Elle déboucherait soit sur la recherche de majorités ad hoc suivant les textes, soit sur une union des droites autour du PPE et d’ECR, excluant les partis les plus radicaux tels l’AfD et le RN, selon la stratégie initiée par Giorgia Meloni. Dans tous les cas, l’influence de la France sera faible, en raison d’une représentation limitée dans les groupes clés.
La campagne électorale pèsera également sur le programme de l’Union au cours des cinq prochaines années. Elle a fait émerger cinq demandes majeures des citoyens auxquelles le futur Parlement comme la Commission devront répondre. La priorité va à la maîtrise de l’immigration et au contrôle des frontières extérieures. La révolte contre le « pacte vert », qui a provoqué une jacquerie des agriculteurs et dont l’interdiction des véhicules thermiques est devenue le symbole, impose de revoir le calendrier et la méthode – le basculement vers la voiture électrique étant une aberration économique et écologique sans bornes de recharge, sans réseau adapté, sans électricité décarbonée abondante, sans production européenne capable de rivaliser avec les constructeurs chinois. La reconfiguration du système économique mondial en blocs impose de protéger le grand marché et les entreprises européennes face au renouveau industriel américain et au dumping chinois. Le financement des quelque 500 milliards d’euros par an d’investissements requis pour répondre aux défis du vieillissement, de la réindustrialisation, de la révolution numérique, de la transition écologique et du réarmement passe par la réalisation de l’union bancaire et des marchés de capitaux. Enfin, les Européens plébiscitent un rôle renforcé de l’Union dans la défense du continent, qu’il s’agisse de coordination du réarmement et des forces, de renforcement et d’intégration de la base industrielle ou d’aide à l’Ukraine.
En France, la campagne s’est résumée à un référendum sur Emmanuel Macron. Si l’étiage des extrêmes droites devait dépasser 40 %, son échec politique serait définitivement scellé. Alors qu’il s’est fait élire par deux fois contre Marine Le Pen comme rempart contre l’extrême droite, il se révèle son meilleur allié, puisque le score du RN est indexé à la hausse sur ses interventions. Une percée de l’extrême droite constituerait aussi un ultime avertissement lancé par les Français dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. Ils ne sont pas majoritairement acquis à l’extrême droite et restent sceptiques sur sa capacité à gouverner. Mais ils sont prêts à lui donner sa chance si la classe politique continue à rester aveugle et impotente devant la descente en vrille de la France, encensant tout ce qui la ruine et écartant tout ce qui pourrait la sauver.
« La France traverse une crise démocratique existentielle dont la solution conditionne par ailleurs la transformation de l’Union européenne en puissance »
Une victoire écrasante de l’extrême droite priverait ainsi Emmanuel Macron de légitimité et de toute capacité d’action. Dans une période critique où la liberté est menacée en France comme en Europe, il est impensable de laisser se poursuivre pendant trois ans supplémentaires la chute de notre pays. Emmanuel Macron a liquidé au début de son quinquennat la négociation d’un accord de gouvernement avec l’opposition. La seule solution pour surmonter le blocage politique et institutionnel consiste dès lors à recourir au vote, comme l’ont fait le président Mattarella en Italie en 2022 après la mise en minorité de Mario Draghi ou Rishi Sunak au Royaume-Uni qui a convoqué des élections législatives pour juillet devant l’incapacité de son parti à gouverner.
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Chronique parue dans Le Figaro du 3 juin 2024