La volonté du chef de l’État d’« européaniser » la capacité de dissuasion nucléaire de la France n’a pas de sens.
Depuis le général de Gaulle, la dissuasion nucléaire est la clé de notre défense et de notre indépendance. Dans son esprit, elle réassurait l’État, qui était la colonne vertébrale de la nation, pour affronter les chocs de l’Histoire et conjurer le spectre de la débâcle de juin 1940 : « Il faut que la défense de la France soit française, martelait-il dans son discours à l’École militaire le 3 novembre 1959. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. » La dissuasion nucléaire est directement liée au statut de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, qui fait de notre pays l’un des garants du système international.
La doctrine française de la dissuasion a été maintenue par tous les présidents de la Ve République. Les vecteurs, les fusées et les têtes ont été modernisés. Les armes tactiques et les missiles terrestres du plateau d’Albion ont été démantelés. Mais les principes sont restés inchangés. La dissuasion est destinée à garantir en toutes circonstances la préservation des intérêts vitaux de la France, qui ne sont pas définis, mais au sujet desquels il est acquis qu’ils ne se limitent pas aux frontières du territoire national. Elle s’inscrit dans une logique de dissuasion du faible au fort et de stricte suffisance. Sa crédibilité repose sur la rapidité et la fiabilité de la décision, indissociable de la complète autonomie de la chaîne de détection, de communication, de commandement et d’opérations. Ainsi, la contribution de la dissuasion française à la défense de l’Europe a été reconnue par l’Otan, mais la France ne participe pas au groupe des plans nucléaires de l’Alliance.
Dans une interview aux journaux du groupe Ebra et dans The Economist, Emmanuel Macron a apporté trois inflexions majeures à la doctrine française de la dissuasion. Il a proposé de l’ « européaniser » en la partageant avec nos partenaires. Il l’a intégrée à la défense conventionnelle en la liant aux systèmes antimissiles et aux armes à longue portée. Il l’a placée à l’échelle du continent en souhaitant que le débat s’ouvre au sein de la Communauté politique européenne. Il est vrai que la défense de la France et de l’Europe se présente sous un nouveau jour depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. La guerre de haute intensité est de retour sur notre continent, redoublée par le conflit hybride engagé par les empires autoritaires contre les démocraties. L’Europe fait face à une menace existentielle émanant de la Russie, qui connaîtrait une formidable accélération si l’Ukraine était défaite. La violence se libère de toutes les institutions et les règles mises en place pour l’encadrer, à l’image des frappes entre l’Iran, pays du seuil nucléaire, et Israël, pays doté. L’Europe se découvre vulnérable, désarmée et fragilisée par l’affaiblissement de la garantie de sécurité des États-Unis, qui pourrait devenir critique en cas de réélection de Donald Trump.
Les initiatives de Macron n’en paraissent que plus légères et incohérentes. La dissuasion est fondée sur sa crédibilité. Son partage, dans un cadre qui reste à définir, la priverait d’efficacité opérationnelle sans rien apporter à la défense européenne, qui n’a par ailleurs enregistré aucun véritable progrès depuis 2017. Il ouvrirait la voie à une mutualisation du siège français de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, adossée à des décisions prises à la majorité au sein de l’Union élargie qui
La déstabilisation de la dissuasion française affaiblit la sécurité de la France mais aussi celle de l’Europe.
excluent toute ligne directrice. Le couplage avec la défense antibalistique et les armes à longue distance implique l’intégration de la dissuasion française dans un dôme de fer européen qui ne peut être réalisé et opéré que par l’Otan. Le cadre de la Communauté politique européenne est irréaliste puisque cette instance est un simple forum de discussion, qui ne dispose ni de la légitimité,ni des compétences, ni des moyens pour traiter de la défense du continent, et a fortiori des questions nucléaires.
La dissuasion nucléaire constitue un actif stratégique majeur pour la France et l’un de ses derniers facteurs de puissance effectifs. Aucun pays doté n’a fait l’objet d’une attaque majeure. L’efficacité de la dissuasion reste entière dans un monde multipolaire où prolifèrent les armes de destruction massive. Dès lors, la déstabilisation de la dissuasion française affaiblit la sécurité de la France mais aussi celle de l’Europe en creusant, comme le débat ouvert autour d’une intervention militaire en Ukraine, les divisions au sein de nos alliés, pour le plus grand bonheur de Vladimir Poutine.
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Chronique du 17 mai 2024