«La Chine de Xi Jinping, le totalitarisme et l’empire contre le marché»
La visite d’État qu’effectue Xi Jinping en France à l’occasion des 60 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre notre pays et la République populaire de Chine intervient dans un moment décisif. La mondialisation se militarise et la dynamique de la violence s’emballe en Ukraine, au Moyen-Orient et en mer de Chine. Sous l’autorité de Xi, la Chine réalise un grand bond en arrière, sacrifiant le modèle de ses Quarante Glorieuses à un totalitarisme maoïste tout en affirmant ses ambitions impériales adossées à son alliance avec la Russie. Bloquée dans son développement, distancée par le renouveau industriel et technologique des États-Unis, elle déverse dans l’Union l’excédent de ses formidables surcapacités industrielles destinées à soutenir son effort de guerre contre l’Amérique. Avec la France, Xi Jinping fait ainsi le choix du maillon faible de l’Europe, qui cumule stagnation économique, perte de contrôle des finances publiques, dépendance aux importations chinoises pour les biens essentiels, politique étrangère erratique qui a vu Emmanuel Macron, au retour de son voyage en Chine, reprendre à son compte les positions de Pékin sur Taïwan au moment même où étaient déclenchés des exercices militaires simulant le blocus et l’invasion de l’île.
L’année 2022 a fait basculer l’histoire du XXIe siècle avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais aussi le 20e congrès du Parti communiste chinois. Deng Xiaoping construisit le miracle économique chinois, qui sortit 800 millions de personnes de la pauvreté, sur la collégialité et la limitation du pouvoir, la libération du marché et l’ouverture des échanges, enfin une diplomatie prudente. Xi a spectaculairement rompu avec ce modèle pour rétablir le primat absolu de la politique sur l’économie, associant pouvoir à vie, Big Brother numérique, purges à répétition, contrôle strict des entreprises et de l’économie, revendication du leadership mondial à l’horizon 2049 passant par la suprématie sur les États-Unis.
Mais ce faisant, il a détruit tant le pacte implicite qui liait l’enrichissement des Chinois et la préservation du monopole du pouvoir du Parti communiste que la mondialisation qui avait porté le décollage de la Chine. La gestion calamiteuse de l’épidémie de Covid – de son occultation et de l’opacité maintenue sur son origine à la stratégie « zéro Covid » – a souligné les dangers du pouvoir absolu et installé une immense défiance de la population envers ses dirigeants.
Les effets sont dévastateurs. La démographie s’effondre avec une fécondité limitée à 1 enfant par femme et la chute de la population active de près de 10 millions de personnes par an. La croissance est revenue de 9,5 % à 3 % par an, le chiffre officiel de 5,3 % étant outrageusement gonflé. Un jeune diplômé sur trois est au chômage, ce qui a entraîné la suppression des statistiques. L’immobilier, qui représente 60 % de l’épargne des ménages, s’enfonce dans un krach sans fin et la bourse s’écroule, ruinant 200 millions de petits porteurs. La dette publique et privée approche 300 % du PIB et les sorties de capitaux s’envolent (68 milliards de dollars en 2023).
Le blocage du marché intérieur, qui découle de la stagnation de la consommation à 40 % du PIB contre 70 % dans le monde développé, crée une spirale déflationniste. Les autorités y répondent en subventionnant les entreprises d’État pour construire de gigantesques surcapacités industrielles et favoriser le dumping des exportations. La Chine est désormais le premier producteur et exportateur d’automobile (30 et 5,2 millions de véhicules) ; elle fabrique 54 % de l’acier mondial, 60 % des éoliennes et 99 % des batteries lithium. Avec pour résultat un excédent commercial de 1 000 milliards de dollars sur 12 mois, qui a provoqué des représailles protectionnistes massives aux États-Unis mais aussi en Inde, au Brésil ou en Turquie. Simultanément, l’impérialisme débridé de Pékin, l’accélération de son réarmement et des cyberattaques, la prédation d’actifs stratégiques dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » suscitent de plus en plus de résistances, tout particulièrement en Asie.
Pour autant, la Chine, même si elle met la Russie sous tutelle, se trouve en perte de vitesse face aux États-Unis. En dépit de la division de la société et du dérèglement de sa démocratie, l’Amérique dispose d’un PIB supérieur de moitié, contre un tiers il y a 5 ans. La croissance et les gains de productivité sont plus élevés, grâce au leadership des technologies du XXIe siècle. Les programmes publics de financement des infrastructures, de l’industrie, de la transition climatique et des semi-conducteurs permettent de rattraper les décennies de sous-investissement. Enfin, les guerres d’Ukraine et de Gaza ont fourni l’occasion aux États-Unis d’effectuer une démonstration militaire et diplomatique, rappelant que leurs forces armées demeurent inégalées par leur puissance, leur expérience du combat, le réseau des alliances qui les appuient.
Dès lors, l’Union est pour la Chine à la fois un enjeu déterminant et le point faible de l’Occident. Elle est le seul marché mature et riche qui lui reste accessible. Après lui avoir assuré un excédent commercial de 397 milliards d’euros en 2022 et 291 milliards en 2023, elle laisse ses frontières ouvertes à un tsunami de voitures électriques, batteries, panneaux solaires et autres éoliennes. Et ce en raison de l’attachement à une conception du libre-échange rendue caduque par l’arsenalisation de la mondialisation ainsi que des divisions entre États membres, à commencer par la poursuite par l’Allemagne de sa politique mercantiliste vis-à-vis de Pékin en dépit de sa faillite économique, stratégique et morale en Russie.
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Chronique parue le 6 mai 2024