Mario Draghi, sauveur de l’Union
L’Europe est la grande perdante de la nouvelle donne issue de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mario Draghi a sauvé l’euro en 2012. Il a ressuscité l’Italie en 2021 en constituant un gouvernement d’union nationale qui a permis à son pays de surmonter les ravages de la pandémie de Covid, de se relancer grâce au plan européen, de restaurer son image et son crédit international. Il est aujourd’hui le seul homme d’État en Europe qui peut permettre à l’Union de relever les défis existentiels qui se présentent devant elle.
L’Union européenne est la grande perdante de la nouvelle donne issue de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, marquée par l’éclatement de la mondialisation, la confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties, la libération de la violence. Sur le plan économique, le continent est promis à une longue stagnation du fait de la chute de la productivité, de l’explosion des coûts de l’énergie, de la prise en étau du grand marché par le renouveau industriel américain, le dumping chinois et la poussée des émergents. Le modèle mercantiliste porté par l’Allemagne, fondé sur le gaz russe bon marché, le travail à bas coût d’Europe orientale et les exportations vers la Chine, est caduc. Sur le plan stratégique, l’Union se découvre en première ligne et désarmée face aux ambitions impériales de la Russie et de la Turquie, tétanisée par le risque de disparition de la réassurance des États-Unis en cas d’élection de Donald Trump. Sur le plan politique, la construction communautaire apparaît impuissante devant la spirale de peur, de haine et de violence qui emporte le continent, alimentant par sa faiblesse les populismes au lieu de les endiguer. Sur le plan éthique, le retour de la guerre intensive sur le continent marque la faillite morale des dirigeants européens et des illusions qu’ils ont cultivées autour de la paix perpétuelle après la chute du soviétisme, de la supériorité des intérêts sur les passions impériales ou religieuses, du pari fait sur le commerce pour neutraliser les ambitions de puissance des autocrates.
Face à la multiplication des chocs, l’Union, fondée sur le droit et le marché, doit se réinventer autour de la sécurité et de la souveraineté. Or le fossé se creuse entre les discours et les actes. Et ce du fait d’Ursula von der Leyen, qui, comme Angela Merkel en son temps, se signale par un défaut de vision et une absence de stratégie.
Les fonds du plan de relance de 800 milliards d’euros lancé en 2020 n’ont été engagés que pour moins d’un quart quand les 370 milliards de dollars de l’Inflation Reduction Act (IRA), voté en août 2022, ont déjà été consommés et abondés. Le Pacte vert européen se réduit à une avalanche de normes et de taxes, adoptées sans aucune évaluation, qui ruine l’agriculture et l’industrie tout en paupérisant les citoyens. Le grand marché reste largement ouvert avec des coûts de production insoutenables, ce qui se traduit par l’exil des investissements et des emplois qualifiés aux ÉtatsUnis et par un tsunami d’importations en provenance de Chine. L’Union a ainsi détruit tous les secteurs d’activité auxquels elle s’est intéressée : l’agriculture, les télécommunications, l’énergie, la santé, l’automobile. Le réarmement reste dans les limbes, alors même que se renforce la pression de la Russie sur l’Ukraine. En bref, l’Union réglemente quand la Chine produit et que l’Amérique innove et finance, forte des 300 milliards d’euros de capitaux européens qui affluent vers elle chaque année. Son ambition se résume à son élargissement à 35 pays en 2030, qui, déconnecté de tout projet politique, est devenu sa propre fin.
C’est l’heure de vérité pour l’Union européenne. Dans un monde dominé par les hommes forts, elle doit retrouver un leadership légitime et efficace.
Mario Draghi vient de confirmer dans deux discours prononcés aux États-Unis le 15 février, puis à La Hulpe, en Belgique, le 16 avril, qu’il disposait d’un diagnostic et d’un plan d’action pour l’Union à la hauteur des enjeux historiques qu’elle affronte. Ainsi, la priorité donnée à la politique monétaire, logique pour répondre aux chocs de demande liés au cycle du crédit, doit s’effacer devant la réhabilitation de la politique budgétaire, seule à même de répondre aux chocs d’offre liés aux risques sanitaires ou climatiques comme à la montée des conflits géopolitiques. La survie de la démocratie impose de mobiliser les moyens publics au service de l’investissement et de l’innovation, de la transition climatique et du réarmement, tout en veillant à conserver des trajectoires budgétaires crédibles. […]
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Chronique du 12 octobre 2023