Le nouveau gouvernement, un quitte ou double mal engagé
La nomination de Gabriel Attal comme premier ministre marque une rupture. Pour la première fois, Emmanuel Macron a choisi non pas un technocrate inconnu des Français mais un responsable politique plus jeune et populaire que lui.
Contrairement au faux remaniement de juillet 2023, la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre marque une véritable rupture. Acculé par l’impasse d’un quinquennat privé de cap et de majorité, confronté à l’usure d’Élisabeth Borne, dont la loyauté et le courage ne pouvaient suffire à surmonter le contremploi politique, contraint de constater l’échec des coups de communication du Conseil de la refondation ou des Rencontres de SaintDenis dont le seul résultat fut d’adouber Jordan Bardella comme chef de l’opposition , Emmanuel Macron s’est résolu à déroger avec son principe de n’accepter comme premier ministre que des exécutants ne pouvant lui faire de l’ombre. Pour la première fois, il a nommé à Matignon non pas un technocrate inconnu des Français, mais un responsable politique plus jeune et populaire que lui, dont l’aura au demeurant récente et fragile est fondée sur des choix et des actes clairs aux antipodes du « en même temps ». Il a enfin admis qu’il ne pouvait ni réformer la France ni se sauver seul.
Face à la défiance des Français, à la fracture de sa majorité relative et au blocage de la décision publique, Emmanuel Macron a écarté les alternatives offertes par la Constitution de la Ve République, de la dissolution au référendum, pour faire le choix du changement de premier ministre. Ceci correspond à l’urgence des défis qui se présentent en 2024, avec l’enchaînement des élections européennes, des Jeux olympiques de Paris et de la présidentielle américaine, qui pourrait entraîner un second mandat de Donald Trump cataclysmique pour l’Europe. Ceci répond surtout à sa nature profonde, qui associe une foi illimitée dans l’exécutif conçu comme son bras armé et un profond mépris pour les contrepouvoirs comme pour la société civile.
Avec Gabriel Attal, le président de la République fait tapis : il joue sa meilleure carte, mais c’est aussi sa dernière carte. La prise de risque est immense. Jamais en effet depuis les années 1930, la France n’a été en aussi grand danger, prise en tenailles entre la menace existentielle de la Russie, le péril djihadiste et la montée de l’extrême droite. Jamais depuis les années 1930, la France n’a été happée par une spirale déclinante aussi forte, qui se traduit par le décrochage de son économie, l’explosion de la dette publique, l’ensauvagement de la société, l’effondrement de sa diplomatie actée par la déroute africaine. Jamais, depuis les années 1930, le système politique n’a perdu à ce point sa capacité à agir et l’État n’a été aussi affaibli. Jamais depuis les années 1930, les Français n’ont eu aussi clairement conscience d’avoir perdu la maîtrise de leur destin.
Jusqu’à présent, Emmanuel Macron s’est révélé comme un très mauvais gestionnaire de crises, quand il ne les a pas créées, comme la grande jacquerie des « gilets jaunes ». Le choix de Gabriel Attal, qui n’a jamais été en situation de décideur face à un grand choc historique, pourrait dès lors paraître suicidaire, au moment où les tensions internationales s’exacerbent et où les difficultés économiques se renforcent. La jeunesse et l’audace ne sont en effet pas une fin en soi mais un moyen qui n’a de sens que s’il est mis au service d’un projet, d’une stratégie et d’une méthode.
Comme en 1958, l’issue à la crise existentielle que traverse notre pays est entièrement politique. Emmanuel Macron ne possède plus ni la légitimité, ni la vision, ni le mode d’emploi pour la surmonter. Mais Gabriel Attal pouvait réunir les quatre conditions requises pour engager le redressement. 1. Le refus du déni et le courage de faire la vérité sur la situation réelle de la France, comme il a eu le mérite de le faire sur l’état catastrophique de l’Éducation nationale. 2. Le choix de l’action en écartant les coups de communication qui sont autant de diversions pour se concentrer sur les priorités décisives : la réindustrialisation indissociable de la révolution numérique et de la transition climatique ; l’éducation, avec la hausse du niveau des élèves et des professeurs ; la remise en marche des services publics de base ; le contrôle de l’immigration avec pour contrepartie l’intégration ; le rétablissement de la sécurité intérieure et extérieure. 3. Le rassemblement et la mobilisation des Français autour de la reconstruction de leur pays. 4. La remise en route des institutions de la Ve République, qui exige que le premier ministre ne soit pas un clone ou un collaborateur du président de la République mais le chef à part entière d’un véritable gouvernement qui conduise la politique de la nation : le pire ennemi d’Emmanuel Macron comme du redressement de la France, c’est son hyperprésidentialisme, qui est au principe de son discrédit en France et à l’étranger comme de son échec à moderniser notre pays.
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Chronique parue le 14 janvier 2024