La frappe du Hamas contre Israël, le 7 octobre, montre que la violence monte en intensité et change de nature.
Cinquante ans après la guerre du Kippour qui avait remis en question l’invincibilité de Tsahal, l’attaque du Hamas a réduit à néant l’inviolabilité du territoire d’Israël. En cela, le 7 octobre est bien à l’État hébreu ce que fut le 11 Septembre pour l’Amérique. La frappe du Hamas n’a pas seulement porté la guerre au cœur d’Israël, faisant 1 300 morts et 3 400 blessés ; elle a été marquée par l’ascension aux extrêmes de la sauvagerie.
L’horreur a été inédite dans une région pourtant familière des pires exactions. Les civils ont été les cibles privilégiées, des tueries, par les moyens les plus atroces, à la prise de quelque 150 otages. Puis les actes de barbarie, le martyre et l’humiliation des victimes ont été mis en scène et diffusés dans le monde entier à travers les réseaux sociaux.
Le Hamas entend, comme les terroristes du 11 Septembre, ouvrir un cycle de violence et de haine, avec pour but de broyer Israël et ses soutiens. L’engrenage est planifié de manière implacable : effet de sidération puis de révolte de la population israélienne créant une pression maximale sur les responsables politiques et militaires ; intervention terrestre de Tsahal dans la bande de Gaza contre les 40 000 combattants et les infrastructures du Hamas, tournant au carnage pour les otages comme pour les 2,3 millions de Palestiniens ; ouverture de nouveaux fronts à l’intérieur d’Israël et à la frontière libanaise avec le Hezbollah ; blocage de la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes, à commencer par l’Arabie saoudite ; mobilisation des communautés musulmanes partout dans le monde contre Israël et les démocraties. D’ores et déjà, l’objectif consistant à remettre le conflit israélo-palestinien, en voie d’oubli, au centre de l’agenda diplomatique et stratégique et à déstabiliser le Moyen-Orient a été pleinement atteint.
La violence monte ainsi en intensité et change de nature. Le XXe siècle inaugura l’extermination de populations civiles au nom des idéologies. Mais les États auteurs de ces crimes cherchaient à les cacher, à l’image de la Turquie qui aujourd’hui encore nie le génocide des Arméniens ou des nazis qui dissimulèrent la Solution finale puis firent sauter les chambres à gaz des camps de la mort.
Au XXIe siècle, les massacres de masse et la violence extrême ne sont plus le monopole des États. Ils constituent un objectif de premier rang. Ils sont mis en scène, filmés et distribués sur tous les continents par les réseaux sociaux.
La terreur est revendiquée et affichée par ceux qui l’exercent et qui l’utilisent comme une arme de propagande et un outil de recrutement. Loin d’être masqués, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité deviennent un spectacle et une source de légitimité. Avec, pour illustration, outre le Hamas, Vladimir Poutine en Ukraine ou l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie au Haut-Karabakh, théâtre d’une impitoyable purification ethnique en quatre temps : guerre de haute intensité et atrocités largement relayées, blocus de l’enclave, frappes éclairs, réouverture des frontières pour l’exil forcé de la population.
L’extrême violence fait aujourd’hui l’histoire. Elle est libérée de toutes les institutions et des règles qui avaient été mises en place pour essayer de l’endiguer. Elle est démultipliée par la technologie qui lui assure une publicité mondiale, tout en accélérant la désintégration des sociétés et des cadres intellectuels et moraux. Elle se trouve au principe des empires autoritaires comme du fanatisme religieux et constitue une arme redoutable contre les démocraties dont elle mine de l’intérieur les valeurs, les institutions et les mœurs. Elle constitue aussi l’un des moteurs les plus puissants de la reconfiguration du monde.
Comme l’Ukraine, Israël n’a été soutenu que par les démocraties, tandis que l’attaque du Hamas était approuvée explicitement ou implicitement par l’Iran, la Turquie, la Russie, la Chine et par le Sud global au nom de sa dénonciation du colonialisme et de sa détestation de l’Occident.
Avec les illusions sur la fin de l’histoire qui ont prospéré après la chute de l’Union soviétique, se sont imposées l’idée de l’avènement définitif de la démocratie et de l’économie de marché mais aussi la croyance dans l’impossibilité de la guerre et des grands massacres parce que le XXe siècle était allé trop loin dans la destruction de l’humanité. En réalité, le XXIe siècle est parti pour faire bien pire, au croisement des moyens sans précédent qu’offrent à la violence les technologies numériques et la mondialisation, du déchaînement des fanatismes de l’identité, de la disparition de toute limite, du refus de reconnaître l’existence de valeurs universelles protégeant la vie et la dignité des hommes.
Pour les démocraties, la violence est une menace existentielle. Et la violence extrême constitue une menace extrême. Il est donc plus que temps que les nations libres se mobilisent et s’unissent pour l’endiguer.
À l’intérieur, cela implique de rétablir le monopole de l’État dans l’exercice de la violence légitime et d’interrompre la tolérance envers toutes les formes de violence, qu’il s’agisse aux États-Unis du commerce des armes à feu qui ont fait plus de 45 000 morts en 2022 ou en Europe de la dérive d’un État de droit qui n’est plus au service du maintien de l’ordre public mais d’une protection inconditionnelle des individus, y compris les plus sanguinaires.
À l’extérieur, ceci implique d’endiguer les empires autoritaires et les djihadistes dans le respect des valeurs des démocraties, c’est-à-dire en soumettant le recours légitime à la violence à la raison politique, à un principe de proportionnalité et à des limites. Et ce non pas seulement pour des motifs politiques et moraux mais pour des contraintes d’efficacité.
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Chronique parue le 16 octobre 2023