Bouclier énergétique, panier anti-inflation, encadrement des loyers… En voulant réguler les prix, l’État répète les erreurs des années 1970.
Le 1er décembre 1986, la France, tirant les leçons de son échec dans la lutte contre les chocs pétroliers puis de la calamiteuse relance de 1981 qui la conduisit aux portes du FMI, mit fin au contrôle des prix qui avait été instauré par l’ordonnance du 30 juin 1945. La régulation du secteur privé échappa alors à l’administration pour basculer vers le marché et la concurrence. Mais, depuis la pandémie de Covid et la guerre d’Ukraine, notre pays ressuscite le contrôle des prix dans l’espoir d’endiguer l’inflation.
L’État est ainsi lourdement intervenu dans le prix des carburants, non seulement en instaurant des ristournes et des chèques, mais en faisant pression sur les opérateurs privés. Si le projet aberrant d’autoriser la vente à perte du carburant a été abandonné, TotalEnergies a été poussé à plafonner le prix du litre à 1,99 euro et la grande distribution à pratiquer des prix coûtants. Simultanément, des boucliers ont été mis en place pour le gaz et l’électricité en faveur des ménages et des PME. Au total, les aides publiques pour réduire les prix de l’énergie ont atteint 85 milliards d’euros en 2022 et 2023, dont 8 milliards mis à la charge d’EDF, qui a enregistré une perte historique de 18 milliards d’euros en 2022 et creusé son endettement jusqu’à 65 milliards d’euros. Puis Emmanuel Macron a annoncé vouloir « reprendre le contrôle du prix de notre électricité » en le déconnectant du marché européen.
La régulation des prix par l’administration est très loin de se limiter à l’énergie. L’État ne cesse de s’immiscer dans les négociations entre industriels et distributeurs, qui ont été contraints de mettre en place des paniers anti-inflation – dont le coût est reporté sur les autres produits. Les loyers sont désormais encadrés dans 24 grandes agglomérations, et leur augmentation a été plafonnée à 3,5 %. Les tarifs des transports sont pour l’essentiel fixés par l’État, des péages autoroutiers aux redevances aéroportuaires en passant par les billets de train avec la création d’un passe rail à 49 euros par mois représentant une charge de plus de 3 milliards d’euros. Enfin, les prix des médicaments sont déterminés par l’administration, qui les diminue arbitrairement depuis des années afin de limiter le déficit de l’Assurance maladie.
Le contrôle des prix ne supprime pas l’inflation mais se contente de la différer.
Au total, les dépenses des ménages sont aujourd’hui pour moitié gouvernées par des prix administrés. Cet activisme a limité en 2022 la hausse des prix en France à 5,2 %, contre 8,4 % dans la zone euro. Mais ses effets de long terme sont désastreux. Le contrôle des prix ne supprime pas l’inflation mais se contente de la différer. Ainsi, l’inflation s’élève désormais à 5,6 % en France contre 4,3 % dans la zone euro du fait de la sortie progressive des boucliers énergétiques et de la boucle entre les prix et les salaires. Le contrôle des prix est en effet allé de pair avec l’indexation des rémunérations du secteur privé, des pensions de retraite et des minima sociaux. L’inflation sera donc durable et supérieure à celle de la zone euro, pénalisant la compétitivité, donc la croissance et l’emploi.
Les prix administrés détruisent par ailleurs l’offre et créent des pénuries. Ainsi, le nombre de logements offerts à la location a chuté de 34 % en un an, au moment même où les ventes s’effondrent de 40 % en raison de la montée des taux, provoquant une crise majeure. Dans le domaine de la santé, la baisse autoritaire des prix du médicament explique les pénuries, du paracétamol aux antibiotiques en passant par les anticorps monoclonaux, comme la suppression de l’accès des Français aux traitements innovants. Les ristournes et autres chèques alimentent aussi le déficit et la dette publique, laquelle dépasse 3 050 milliards d’euros pour une charge de 52 milliards d’euros en 2024 qui s’élèvera à plus de 70 milliards en 2027, mettant notre pays à la merci d’un choc financier majeur.
Surtout, la suppression du signal des prix biaise les comportements et fausse le fonctionnement du marché, créant des dommages qui vont au-delà de l’économie. Le renforcement de la grande distribution déstructure le tissu économique et social et ravage les centres urbains. Le contrôle des loyers, comme le rappelait Assar Lindbeck, Prix Nobel d’économie, reste le moyen le plus sûr en dehors … … des bombardements aériens pour détruire les villes. La subvention massive de la consommation de carburants constitue la pire des absurdités économique et écologique. Enfin, le recours aux prix administrés coupe la France du grand marché européen au moment où la mondialisation se reconfigure autour de blocs régionaux.
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Chronique du 12 octobre 2023