Depuis une décennie, la natalité française ne fait que chuter. Le silence qui entoure l’écroulement des naissances en France est d’autant plus surprenant que ses conséquences sont majeures.
Longtemps, la démographie a semblé échapper au déclin économique et social de la France et constituer pour notre pays un atout de long terme face à la diminution des naissances dans la plupart des grands pays européens. Cette exception est terminée.
Au 1er janvier 2023, la France comptait 68 millions d’habitants. En 2022, elle a enregistré 723 000 naissances, soit 19 000 de moins qu’en 2021, contre 667 000 décès. La très faible hausse de la population a résulté d’un solde naturel limité à 56 000 personnes, auquel s’est ajouté un solde migratoire de 161 000 personnes, soit trois fois plus. Le premier semestre 2023 a amplifié cette évolution, avec 314 400 nouveau-nés – soit 24 000 de moins qu’en 2022 contre 313 300 morts. Le solde naturel est désormais nul et la population française n’augmente plus que par l’immigration.
La chute de la natalité est durable. Elle a débuté en 2010 et s’est accélérée à partir de 2014. Elle résulte de la diminution brutale du taux de fécondité de 2 à 1,76 enfant par femme en dix ans, très en dessous du seuil de remplacement des générations, qui s’élève à 2,1 enfants par femme.
Les naissances comme la fécondité sont tombées désormais à un plus bas historique depuis 1945.
Les raisons du retournement brutal de la démographie française sont multiples et complexes. Le nombre de femmes en âge de procréer tend à diminuer et l’âge moyen de la maternité a progressé jusqu’à 31 ans, contre 25 ans pour les générations précédentes. Les jeunes adultes sont les premières victimes de la paupérisation de la population, avec un taux de pauvreté qui atteint 25 % et des difficultés importantes pour trouver du travail et se loger. Les insuffisances persistantes des systèmes de garde rendent délicate et tendue la conciliation de la vie familiale et professionnelle. La politique familiale, qui constituait un soutien majeur de la démographie, a été largement démantelée avec l’amputation du quotient familial et la mise sous condition de ressources des allocations en 2014, qui ont frappé de plein fouet les classes moyennes déjà profondément déstabilisées. Enfin, la multiplication des crises, du krach de 2008 et de la tempête sur l’euro à la guerre d’Ukraine et au renouveau de l’inflation en passant par la pandémie de Covid, la révolution numérique et le dérèglement climatique, a installé un climat anxiogène et exacerbé les incertitudes touchant l’avenir.
La France n’est pas confrontée à un effondrement démographique comme le Japon, dont la population a diminué de 800 000 personnes en 2022 et pourrait passer de 126 à 87 millions d’habitants en cinquante ans. En revanche, elle se rapproche de l’Italie, qui, avec une fécondité de 1,24 enfant par femme, a vu sa population réduite de 60,8 millions à 58,8 millions depuis 2014 et s’est enfermée dans une spirale malthusienne de stagnation de la production et de baisse des revenus.
Le silence qui entoure l’écroulement des naissances en France est d’autant plus surprenant que ses conséquences sont majeures. La population augmentera jusqu’à atteindre 69,3 millions d’habitants en 2044 avant de régresser pour s’établir à 68,1 millions en 2070. Mais son vieillissement sera rapide, la part des plus de 65 ans dépassant 30 % dès 2030. Surtout, son hétérogénéité se renforcera puisque seule l’immigration compensera le déficit des naissances – et ce alors que les immigrés et leurs descendants représentent déjà 21,4 % de la population française.
La croissance potentielle sera annihilée, puisque la population active stagnera entre 30,1 et 30,5 millions de personnes tandis que, pour l’heure, la productivité du travail diminue en raison du vieillissement (âge moyen des actifs de 42,5 ans), de la déqualification et de l’absentéisme.
Les charges supplémentaires pour les comptes sociaux sont évaluées à 5 % du PIB, ce qui portera les transferts à un niveau insoutenable de 39 % du PIB et fera exploser la dette publique, mettant l’État en défaut et provoquant une crise financière de première ampleur.
La France renoue ainsi avec les démons malthusiens qui provoquèrent la débâcle politique, intellectuelle et militaire des années 1930. Elle finance massivement le passé, avec la dette publique qui dépasse 3 050 milliards d’euros et les retraites qui mobilisent 14 % du PIB, et désinvestit de la première richesse de la nation que sont les enfants en ne consacrant que 2,2 % du PIB à la politique familiale.
Le redressement de la démographie française constitue une condition préalable au relèvement de la France et devrait être érigé, comme en 1945, en priorité nationale. Il suppose de faciliter l’articulation entre travail et vie de famille, à commencer par l’instauration d’un congé parental moins long mais mieux indemnisé. Il passe par l’amélioration de la prise en charge de la petite enfance, notamment grâce à la revalorisation de ses métiers, mais aussi par la modernisation drastique d’un système éducatif archaïque, ruineux et inefficace, comme par la relance urgente de la construction de logements. Il exige de réorienter les dépenses de l’État, des collectivités publiques et de la protection sociale vers les familles et la jeunesse.
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Chronique parue le 9 octobre 2023