L’ensauvagement du monde et la prolifération de la violence imposent de repenser l’Union en termes de souveraineté et de communauté de destin.
L’Europe est en première ligne face au basculement de l’histoire provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La guerre est de retour sur le continent, de très haute intensité en Ukraine, hybride contre l’Union. La mondialisation éclate en blocs. L’inflation et de retour et les taux d’intérêt s’envolent.
Dans cette nouvelle configuration multipolaire, volatile et violente, l’Europe se découvre très vulnérable. Elle acquitte le prix fort pour sa dépendance à la Russie pour les hydrocarbures, à la Chine pour les biens essentiels et les énergies renouvelables, aux États-Unis pour la technologie, la sécurité et le GNL. Son sous-investissement dans la défense la laisse désarmée face à la menace existentielle de la Russie et la place entièrement dans la main des États-Unis à travers l’Otan, qui pourrait ne pas survivre à un second mandat de Donald Trump. Son industrie est prise en étau entre le protectionnisme de l’IRA et le dumping de Pékin pour relancer ses exportations industrielles. Enfin, l’Europe est le continent le plus touché par le réchauffement climatique.
Simultanément, le processus de décision de l’Union apparaît très lourd, lent et inadapté à la gestion des crises qui se multiplient et s’entrecroisent, dela pandémie de Covid à la guerre en Ukraine en passant par les chocs énergétiques et alimentaires, le retour de la « stagflation » ou les vagues migratoires. Et ce même si des progrès sont intervenus et que la Commission a fait preuve de réactivité et d’efficacité dans l’approvisionnement et la distribution des vaccins contre le Covid, l’aide à l’Ukraine qui a mobilisé plus de 62 milliards d’euros, la mise en place des sanctions contre la Russie ou de mesures antidumping visant les véhicules électriques chinois afin d’éviter un désastre industriel pire encore que celui des panneaux solaires.
Sauf à perdre la maîtrise de son destin et à être ravalée au rang d’objet de la rivalité entre les géants du XXIe siècle, l’Union n’a d’autre choix que de s’adapter à la nouvelle donne mondiale. Il lui faut repenser ses principes, en réintégrant les impératifs de souveraineté et de sécurité, son périmètre, sa gouvernance et ses politiques. Et elle doit le faire vite compte tenu de la gravité des risques qui pèsent sur elle.
En raison du surplomb de la guerre d’Ukraine et de la volonté de manifester le soutien à Kiev, l’élargissement s’est imposé comme le fil conducteur de la réinvention de l’Union. Ainsi, Ursula von der Leyen, dans son discours sur l’état de l’Union prononcé le 13 septembre, s’est prononcée en faveur d’un élargissement à 35 pays à l’horizon 2030 et a annoncé que la Commission engageait un travail de réexamen des politiques et de réflexion sur le budget. Simultanément un groupe franco-allemand composé de 12 experts a rendu public les conclusions d’un rapport sur l’élargissement intitulé « Naviguer en haute mer » qui fixe quatre priorités : le renforcement de l’État de droit via des sanctions durcies en cas de manquements ; la réforme des institutions avec l’extension des pouvoirs du Parlement et l’unification des modes de scrutin, le resserrement de la Commission, la réorganisation du Conseil autour d’un quintette ; l’augmentation et la flexibilité du budget ; la réalisation de l’élargissement par une révision simplifiée ou par un traité spécifique si la modification des traités actuels s’avérait trop difficile.
Ces démarches ont en commun de faire de l’élargissement de l’Union une fin en soi, sans jamais poser la question de son projet politique ni de son articulation avec les nations et les peuples. L’ensauvagement du monde et la prolifération de la violence imposent de repenser l’Union en termes de souveraineté et de sécurité économique, sanitaire, climatique et militaire, donc de communauté de destin. Or celle-ci n’a rien d’évident comme le rappellent la proximité de la « démocratie illibérale » hongroise avec la Russie de Vladimir Poutine ou la suspension des livraisons d’armes à l’Ukraine par la Pologne. Elle suppose en tout état de cause que les citoyens puissent se prononcer sur la question de savoir ce qu’ils veulent faire et avec qui.
Par ailleurs, ces projets reposent sur une extension continue des compétences, des politiques et du budget de l’Union. De fait, l’intégration de l’Ukraine, qui devra être reconstruite pour un coût compris entre 500 et 750 milliards d’euros, qui est une superpuissance agricole et qui compte 44 millions d’habitants dont les revenus moyens sont très faibles, implique des dépenses considérables et demande une redéfinition de la politique agricole commune comme des politiques régionales de cohésion. Il en va de même pour l’adhésion des pays balkaniques.
Mais les ressources de l’Union ne peuvent pas croître indéfiniment alors que les États membres, souvent surendettés, sont appelés à financer la modernisation de l’éducation et de la santé, la réindustrialisation, la transition climatique et le réarmement. L’élargissement a ainsi pour condition préalable la réforme des politiques européennes pour les mettre en cohérence avec celles des États en application du principe de subsidiarité et pour les adapter aux changements du monde, qu’il s’agisse de la régulation du grand marché, qui ne peut obéir à la seule concurrence, du mandat de la BCE, indûment limité à la stabilité monétaire, ou encore des accords de Schengen afin d’instaurer un contrôle strict des frontières extérieures de l’Union dont l’afflux de migrants sur l’île de Lampedusa rappelle l’absolue nécessité et l’urgence.
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Chronique parue le 25 septembre 2023