L’Allemagne, un homme malade, qui se soigne.
Comme lors de la réunification, le pays doit redéfinir son modèle économique et son positionnement stratégique. Il a tous les atouts pour relever le défi.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, rien ne va plus en Allemagne, passée du miracle économique au désarroi existentiel. Bild titre « Au secours, notre économie s’effondre » et l’éditorialiste de Der Spiegel, Michael Sauga, soutient que « La France est une Allemagne en mieux », tandis que The Economist affirme que l’Allemagne est redevenue l’« homme malade de l’Europe ». De fait, l’Allemagne, depuis l’épidémie de Covid, affiche des performances qui la rangent dans le peloton de queue de la zone euro. En 2023, elle est la seule économie du G7 en récession, avec un recul de l’activité de 0,4 %. L’inflation reste installée autour de 6 % par an. La production industrielle chute et les exportations stagnent, tandis que la consommation recule de 2,2 %.
Le choc n’est pas seulement lié à la crise énergétique. Il est structurel et résulte d’une profonde remise en question du modèle mercantiliste. Fondé sur l’approvisionnement en gaz russe bon marché, les exportations vers les Brics, le sous-investissement dans les infrastructures et la délégation de la sécurité aux États-Unis, il a explosé avec l’épidémie de Covid et la guerre en Ukraine. Ces dernières ont fait éclater la mondialisation tout en montrant le caractère insoutenable d’une triple dépendance – à la Russie pour l’énergie, à la Chine pour les débouchés commerciaux, aux États-Unis pour la technologie et la défense.
L’Allemagne se trouve aujourd’hui dans une impasse économique, politique et stratégique qui conduit à réviser à la baisse le bilan des seize années de pouvoir d’Angela Merkel. La chancelière s’est contentée de gérer la rente des réformes effectuées par Gerhard Schröder tout en accumulant les erreurs, de la déflation de la zone euro à la politique d’apaisement vis-à-vis de la Russie – à qui fut confié 55 % de l’approvisionnement gazier – et de la Chine, en passant par la sortie du nucléaire et l’ouverture des frontières de l’Union aux migrants.
L’industrie allemande est désormais en panne, confrontée à la dégradation de sa compétitivité mais aussi à la fonte de ses marchés. L’automobile en est le symbole : elle voit se réduire comme peau de chagrin ses exportations vers la Chine, qui représentaient 30 à 40 % de ses ventes mondiales, au moment où les constructeurs de Pékin, à grand renfort de dumping mais forts également de leur avance dans les batteries et le numérique, prennent le contrôle de la filière des véhicules électriques.
La posture internationale de l’Allemagne est tout aussi fragilisée. Sa diplomatie mercantiliste et pacifiste est prise à contrepied par la confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties ouverte par la guerre d’Ukraine. Le sous-financement chronique de la défense (de 1 à 1,5 % du PIB) laisse le pays désarmé devant la menace russe. Face à cette accumulation de chocs et de défis, le système politique allemand, fondé sur le fédéralisme, l’État de droit et la culture du compromis, ne répond plus. La coalition, placée sous le leadership hésitant d’Olaf Scholz, est paralysée par ses divisions et incapable de définir une ligne politique claire, qu’il s’agisse du sauvetage de l’industrie, de la transition écologique, du réarmement ou de la posture vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Un vide politique s’est creusé dans lequel s’engouffre l’AfD, désostracisée et créditée de 22 % des intentions de vote.
L’automobile est devenue un symbole : ses exportations vers la Chine se réduisent comme peau de chagrin.
Comme dans les années 1990 face à la réunification, au passage à l’euro et à la mondialisation, elle doit redéfinir son modèle économique et son positionnement stratégique. Pour autant, la qualification d’« homme malade de l’Europe » paraît excessive. L’Allemagne conserve des atouts décisifs pour conduire sa réindustrialisation et réaliser sa transition écologique et numérique : la force de son industrie, qui représente 22 % de la valeur ajoutée brute ; la vitalité et la capacité d’adaptation du Mittelstand ; sa présence sur tous les marchés mondiaux ; la persistance du plein emploi ; une dette publique réduite à 66 % du PIB, ce qui offre des marges de manœuvre pour financer les infrastructures, la transition énergétique et le réarmement.
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Chronique du 25 septembre 2023