Cible idéale de la faillite des gouvernements africains, la France doit redéfinir sa politique en tenant compte de la place du continent dans le monde multipolaire.
L’Afrique, qui s’était démocratisée à la fin du XXe siècle avant d’amorcer son décollage dans la mondialisation, semble aujourd’hui retourner au cœur des ténèbres. Avec le putsch au Gabon, elle enregistre son septième coup d’État en trois ans.
La prise du pouvoir par les militaires relève de l’épidémie et semble loin d’être enrayée. Après le Mali en 2020 et 2021, la Guinée en 2021, le Burkina Faso en 2022, le Niger et le Gabon en 2023, elle pourrait toucher le Cameroun – où Paul Biya, 90 ans, au pouvoir depuis 1982, malade et absent le plus souvent du pays, est aux abois et a entrepris un improbable remaniement de l’armée au lendemain du putsch au Gabon –, le Tchad – où la légitimité de Mahamat Idriss Déby est contestée –, la Côte d’Ivoire – où la succession d’Alassane Ouattara, 82 ans, reste très incertaine –, voire le Sénégal, qui prépare pour 2024 des élections présidentielles à haut risque après la décision de Macky Sall de renoncer à un troisième mandat.
Mais, si le scénario est identique et parfaitement huilé – prise du palais présidentiel, placement du président et de ses proches en résidence surveillée, installation d’un conseil de transition, mise en scène du soutien populaire à travers les réseaux sociaux, concertation de façade avec l’opposition –, la logique des coups d’État africains reste très diverse.
Au Niger, Mohamed Bazoum est un chef d’État intègre, régulièrement élu avec 55 % des voix, tandis que la junte ne dispose que d’une faible légitimité. Au Gabon, Ali Bongo, héritier d’une famille qui a confisqué le pouvoir depuis 1967, corrompu avec une fortune estimée à plus de 500 millions d’euros alors que 30 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, lourdement handicapé par un AVC à la suite duquel la réalité du gouvernement a été transférée entre les mains de sa femme, Sylvia, et de son fils, Noureddine, était honni par la population. Le trucage des élections du 26 août destinées à asseoir son troisième mandat, puis l’ordre donné aux forces armées de tirer à balles réelles sur les protestataires ont provoqué la révolte des militaires autour du général Brice Oligui Nguema, plébiscité par les Gabonais. Le ressentiment contre la France est par ailleurs absent au Gabon alors qu’il est très fort au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Les raisons profondes de la cascade des coups d’État ne se trouvent pas en France mais en Afrique. Les pays touchés présentent des pathologies communes : une forte pression démographique et une pauvreté endémique ; l’échec du développement amplifié par le réchauffement climatique ; des … dirigeants âgés alors que l’âge moyen du continent est de 19 ans ; des États fragiles et minés par la corruption ; une insécurité chronique sous la pression des conflits ethniques et des djihadistes.
La dénonciation du néocolonialisme de la France, ancrée dans la jeunesse urbaine et exacerbée par les activistes et les réseaux sociaux, est une composante de la plupart des coups d’État. Notre pays constitue une cible idéale en raison de son passé colonial, de ses engagements contre le djihadisme, de sa présence militaire, de son héritage en termes d’institutions, de droit, de monnaie ou de langue. Pour autant, la Françafrique se réduit à un mythe. La France n’a ni anticipé ni empêché les putschs. Elle n’a ni la volonté ni les moyens de s’ingérer ou d’intervenir militairement. La manipulation des sentiments antifrançais tient lieu de paravent idéologique pour masquer la faillite des gouvernements africains. La Russie exploite et organise ce ressentiment sans l’avoir créé.
L’effet de domino des coups d’État achève le processus de perte d’influence de la France dans le Sahel et l’Afrique centrale, tout en liquidant l’architecture diplomatique et sécuritaire du continent. Notre retrait ne répond pas à une stratégie volontaire, il est subi, créant un vide dans lequel s’engouffrent empires autoritaires et djihadistes.
La France comme l’Afrique, qui constitue l’un des enjeux centraux du XXIe siècle, ont besoin d’une politique africaine de la France. Mais celle-ci a perdu toute cohérence, écartelée entre sécurité et développement, défense du pré carré ou priorité aux nouvelles puissances du continent. La loi de programmation militaire porte la marque de ces contradictions, qui reconduit le modèle d’armée fondée sur la dissuasion nucléaire et les Opex au détriment des engagements en Europe, au moment où notre pays est expulsé d’Afrique. Avec sa formule « ni paternalisme ni faiblesse », Emmanuel Macron théorise sa confusion et son impuissance.
Il est donc urgent de redéfinir notre politique africaine en tirant toutes les conséquences de la fin de la Françafrique, en sortant du déni sur le désastre stratégique de Barkhane après celui de l’intervention en Libye, en prenant en compte la nouvelle donne du continent, les attentes des Africains et la compétition avec les autres puissances, particulièrement les empires autoritaires.
(Chronique parue dans Le Point du 7 septembre 2023)
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Chronique du 7 septembre 2023