Le déplacement d’Anthony Blinken à Pékin intervient dans un moment décisif dans la rivalité entre les eux pays.
Anthony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, a finalement effectué la visite à Pékin qu’il avait annulée en février, en raison du survol des
États-Unis par un ballon espion chinois qui finit par être abattu par l’US Air Force. Ponctuée par une rencontre avec Xi Jinping qui en a assuré le succès, elle témoigne de la reprise du dialogue entre les deux superpuissances du XXIe siècle. Et ce après une escalade militaire et diplomatique marquée par les manœuvres répétées de la marine et de l’aviation de Pékin simulant le blocus de Taïwan, par la multiplication des incidents maritimes et aériens en mer de Chine, par l’affrontement verbal lors du Forum sur la sécurité de Singapour qui vit le ministre de la Défense chinois dénoncer l’Otanisation de l’Asie et appeler au départ des États-Unis de l’Asie-Pacifique.
Le déplacement d’Anthony Blinken intervient dans un moment décisif.
La guerre d’Ukraine a ouvert la grande confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties. La rivalité entre la Chine et les États-Unis pour le leadership mondial est devenue frontale et l’affrontement global depuis les déclarations de Xi Jinping lors des XIXe et XXe Congrès du Parti communiste
chinois auxquelles ont répondu la mise en place par les États-Unis de sanctions commerciales par Donald Trump puis d’une stratégie de cantonnement par Joe Biden. Les contacts ont été rompus tant entre les dirigeants politiques qu’entre les responsables militaires, ce qui peut faire dégénérer un incident en conflit militaire majeur, avec des conséquences catastrophiques tant pour la Chine et les États-Unis que pour l’ensemble de l’humanité. La situation est tout particulièrement tendue autour de Taïwan, à la veille de la présidentielle de janvier 2024.
Dans ce contexte, le déroulement même de la visite d’Anthony Blinken marque un progrès. Elle ouvre la voie à un échange entre Joe Biden et Xi Jinping lors du 31e sommet de l’Apec à San Francisco en octobre. Elle a permis de dresser le constat des désaccords, qu’il s’agisse de Taïwan et du principe d’une seule Chine, de la Corée du Nord, de la guerre en Ukraine, de l’annexion de Hongkong, de la violation des droits humains des Ouïghours au Xinjiang ou des sanctions fermant l’accès des entreprises chinoises aux semi-conducteurs ou à l’intelligence artificielle. Pour autant, la Chine a refusé l’adoption de mesures de confiance ou le rétablissement de la hotline pour gérer d’éventuels incidents militaires, ce qui accroît le risque d’incompréhension, d’erreurs et d’escalade incontrôlée.
Ce premier pas utile n’enlève rien au fait que la relation entre les États-Unis et la Chine est au plus bas depuis la visite du président Nixon à Pékin en 1972.
Le rapprochement déboucha alors sur une coopération qui devint le socle de la mondialisation et donna naissance au condominium Chinamerica, avant d’éclater de par la volonté de Xi Jinping comme de celle de Donald Trump.
La configuration qui prévaut entre Washington et Pékin reste très instable et dangereuse. La Chine n’abandonne rien des orientations fixées par le XXe Congrès. Elle repose sur le durcissement de la nature totalitaire du régime, qu’il s’agisse du pouvoir absolu de Xi Jinping, du contrôle du Parti communiste sur tous les aspects de l’économie et de la société, de la domination des Hans et de la répression de toute forme d’opposition.
À l’extérieur, elle poursuit l’annexion de la mer de Chine et de Taïwan dans le Pacifique, ainsi que l’émergence d’un ordre post-occidental via le partenariat stratégique noué avec la Russie ainsi qu’un rapprochement avec le Sud pour isoler et encercler les démocraties.
Cela se traduit par un puissant effort d’armement, notamment dans les domaines du nucléaire, où la Chine prévoit d’augmenter de 400 à 1 500 le nombre de ses têtes, du spatial, du cyber et de l’intelligence artificielle. Sous couvert de reglobalisation, Pékin entend dédollariser et désoccidentaliser le monde en créant un réseau d’institutions alternatives au système de Bretton Woods. Enfin, la Chine projette sa puissance sur tous les continents, de l’Asie centrale et du Moyen-Orient, avec la médiation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, à l’Amérique latine en passant par l’Afrique.
Les États-Unis ont basculé de la négligence à la mobilisation, autour d’une stratégie de cantonnement de la Chine, seul point de consensus entre démocrates et républicains. Ils ont entrepris de se découpler de Pékin et de reconfigurer l’économie mondiale grâce à l’IRA.
Ils ont organisé le blocus des entreprises chinoises dans les domaines clés des semi-conducteurs et de l’intelligence artificielle. Ils ont engagé un vaste réarmement, y compris nucléaire et spatial, et restauré la crédibilité de leur garantie de sécurité en soutenant l’Ukraine dans sa résistance à la Russie. Ils ont réactivé leur réseau d’alliance et cherchent à fédérer les démocraties asiatiques pour contrer l’expansion chinoise dans le Pacifique, d’Aukus au rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud. Et ils se réengagent auprès des États du Sud afin de les détacher de la Chine.
La rivalité entre les États-Unis et la Chine est donc totale. Elle ne peut faire l’objet d’une normalisation. En revanche, elle ne débouche pas nécessairement sur une guerre apocalyptique qui n’est dans l’intérêt d’aucun de deux géants, confrontés à de lourdes difficultés intérieures.
Le regain totalitaire et l’impérialisme agressif de la Chine ont pour contrepartie l’effondrement de la croissance sous l’effet de la stagnation de la demande intérieure et du découplage avec les États-Unis et l’Europe, avec pour conséquence la montée du chômage et la déstabilisation des classes moyennes. Le renforcement de la puissance des États-Unis s’accompagne de la crise des institutions et du système politique ainsi que de l’écartèlement de la société et des entreprises sous la pression de la guerre culturelle.
Raymond Aron avait défini en 1947 dans Le Grand Schisme l’ordre de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS par la formule, « paix impossible, guerre improbable », qui trouva une traduction diplomatique et stratégique après la crise de Cuba. Au XXIe siècle, la paix entre les États-Unis et la Chine est plus que jamais impossible et tout reste à faire pour que la guerre devienne improbable.
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Chronique parue le 26 juin 2023