Mobiliser la finance au service du Sud, annonçait le sommet de Paris. Les besoins ? Plus de 2 400 milliards de dollars par an pour la transition énergétique.
Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial a rassemblé à Paris, à l’invitation d’Emmanuel Macron, une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement ainsi que de dirigeants d’organisations multilatérales. L’objectif consistait à réconcilier le développement économique, la lutte contre la pauvreté et la transition écologique. Sous le débat autour des urgences du Sud global concernant la sécurité alimentaire, l’accès à l’énergie et le traitement de la dette pointe aussi la volonté de détacher les émergents de la Chine et de la Russie.
Forts de la séduction du modèle autoritaire et du ressentiment contre le passé colonial, les tyrannies du XXIe siècle cherchent en effet à mobiliser le Sud dans la grande confrontation qu’elles ont ouverte contre les démocraties. Et ce non sans succès, comme l’a montré l’adoption par la majorité des pays émergents du narratif russe attribuant à l’Otan la responsabilité de la guerre d’Ukraine et aux sanctions occidentales les chocs énergétique et alimentaire.
Les pays du Sud sont frappés de plein fouet par l’enchaînement des chocs. La pandémie de Covid puis l’implosion de la mondialisation ont cassé la dynamique de leur décollage. L’épidémie ainsi que la crise énergétique et alimentaire ont provoqué une augmentation brutale de la pauvreté qui diminuait depuis le début du siècle, notamment en Afrique qui compte 60 % de sa population en situation d’extrême détresse. La hausse des taux d’intérêt et du dollar a placé 60 % des pays les plus déshérités en situation de surendettement. Les émergents sont enfin les premières victimes du réchauffement climatique, alors que l’Afrique n’a produit que 3 % du stock des émissions de gaz à effet de serre contre 70 % pour les États-Unis et l’Europe.
Pour relever ces défis, le Sud a désespérément besoin de capital, les seuls besoins de la transition écologique étant estimés à 2 400 milliards de dollars par an. Mais il n’y a accès que très difficilement, en raison de la montée des taux d’intérêt et de l’aversion au risque qui fait massivement refluer les fonds vers les pays développés. La relance de l’économie mondiale aujourd’hui à l’arrêt, l’impératif de la transition écologique et la prévention d’un alignement du Sud sur l’Est contre l’Ouest commandent donc de réformer le système financier, afin d’orienter les capitaux vers les émergents. Et ce autour de trois priorités : le traitement du surendettement, le développement et la transition écologique.
Force est de constater que le sommet de Paris illustre les limites de la diplomatie déclaratoire chère à Emmanuel Macron. Le principe des échanges qui se sont noués autour du financement du Sud est positif. Mais les résultats concrets restent très limités. Le Sénégal a obtenu 2,5 milliards de dollars pour conduire sa transition énergétique, avec pour cible un mix comportant 40 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030. La restructuration de la dette de la Zambie, suspendue depuis son défaut en 2020 du fait de l’intransigeance de la Chine, a été débloquée. Le transfert par les pays développés de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI au Sud sur les 650 milliards émis en 2020, paralysé par des arguties juridiques, a été acté à hauteur de 65 milliards.
La minceur des conclusions opérationnelles s’explique par le caractère illusoire et fallacieux des déclarations appelant à une transformation radicale du système financier. La revendication d’une annulation de la dette des pays pauvres occulte la position clé de la Chine qui est devenue leur premier créancier et qui, non contente de s’opposer aux aménagements, utilise les défauts pour faire main basse sur les actifs essentiels de ses débiteurs, comme on l’a vu au Sri Lanka, en Zambie, en Éthiopie ou au Monténégro. La volonté de faire table rase des institutions de Bretton Woods s’inscrit dans la stratégie de Pékin de construire un ordre post-occidental, notamment à travers la dédollarisation et la création d’institutions multilatérales rivales, à l’image de la banque des Brics.
Les multiples propositions de taxes mondiales portées par Emmanuel Macron sur le transport maritime ou les transactions financières sont à la fois chimériques – elles n’ont aucune chance d’être mises en oeuvre, comme on le voit avec les résistances notamment aux États-Unis à un impôt minimal de 15 % sur le bénéfice des entreprises -, contre-productives – car elles sont dissuasives pour le déploiement des capitaux privés – et mensongères – laissant croire que l’imposition du Nord financera le développement et la transition écologique du Sud.
Au total, le sommet de Paris a réactivé les mythes qui ont longtemps bloqué le décollage des pays du Sud, fait le jeu de la Chine qui se présente comme un pays du Sud pour mobiliser les émergents contre l’Occident tout en pillant leurs ressources, validé la délégitimation de la démocratie occidentale par Pékin et Moscou. Aucune attention n’a par ailleurs été portée aux mécanismes de marché, qui sont pourtant seuls à même de porter le décollage économique, la lutte contre la pauvreté et la transition écologique.
Des rêves et des embardées idéologiques
L’urgence de la lutte contre la faim, la pauvreté et le réchauffement climatique est incontestable. La stabilisation de l’Afrique dont la population va doubler d’ici à 2050 est vitale, notamment pour l’Europe qui sera directement touchée par l’implosion du continent noir. Elles impliquent cependant des réponses opérationnelles et non pas la communion dans des rêves ou des embardées idéologiques.
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Chronique du 29 juin 2023