En rompant avec le populisme, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a fini par redresser son pays, non sans accrocs. Un avertissement pour la France.
Déjouant les pronostics, la Nouvelle Démocratie a largement remporté les élections législatives grecques du 21 mai avec 40,8 % des voix, loin devant Syriza (20 %), le Pasok (11,5 %) et le Parti communiste (7,2 %), tandis que les néonazis d’Aube dorée sont exclus du Parlement. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis entend tirer tout le parti de cette vague conservatrice en convoquant de nouvelles élections au début de l’été afin d’obtenir une majorité absolue à la Vouli, le Parlement grec, grâce à la prime de 50 sièges attribuée au vainqueur.
La victoire sans appel de la droite modérée est d’autant plus remarquable que Kyriakos Mitsotakis semblait affaibli tant par le scandale des écoutes d’opposants et de journalistes que par la catastrophe ferroviaire de Tempé du 28 février, dont le terrible bilan de 57 morts a mis en lumière le délabrement du réseau ferré. Ces secousses ont certainement contribué à l’abstention de 40 %. Elles n’ont cependant pas pesé lourd face à la volonté des Grecs de poursuivre le redressement et d’assurer la stabilité politique de leur pays, quatorze ans après la terrible crise financière qui fut proche d’emporter son économie et sa démocratie.
Le Premier ministre a d’abord été crédité du miracle économique qui a permis à la Grèce de se libérer dès 2022, avec deux ans d’avance, des prêts du FMI et de la tutelle de l’Union européenne. La croissance a atteint 5,9 % en 2022 et s’élèvera à 2,3 % en 2023. Le chômage a été ramené de 25 % à 10,8 % de la population active en dix ans. Les comptes publics ont affiché un excédent primaire de 0,1 % du PIB en 2022, permettant une spectaculaire diminution de la dette, qui a chuté de 208 % du PIB en 2020 à 171 % du PIB fin 2022 et pourrait être réduite à 135 % du PIB en 2026, passant en dessous de celle de l’Italie.
Hub logistique et énergétique
La sortie de crise a été portée par l’essor du tourisme, qui représente 20 % du PIB, mais aussi par le dynamisme des exportations, de la marine marchande et de la construction. Exploitant la nouvelle donne issue de la pandémie et de la guerre d’Ukraine, la Grèce, forte du retour des investissements étrangers (7,22 milliards d’euros) et des aides du plan de relance européen (31 milliards d’euros), se positionne désormais comme hub logistique et énergétique.
Kyriakos Mitsotakis a par ailleurs rétabli la position internationale de son pays. Il a repris le contrôle de la mer Égée et engagé une politique de maîtrise des flux migratoires, mettant en échec la tentative de Recep Tayyip Erdogan de transformer les réfugiés en arme de déstabilisation de l’Union. Il a également mis en place, notamment via le partenariat de sécurité conclu avec la France et concrétisé, par l’acquisition de 24 Rafale et de 3 frégates, une stratégie d’endiguement des ambitions impériales de la démocrature islamique turque en Méditerranée orientale, sans alimenter l’escalade. La Grèce, à travers un plan de réarmement qui affecte 3,5 % de son PIB à la défense, s’affirme ainsi comme le pays clé sur le front sud-est de l’Otan, face à la guerre hybride conduite par la Russie mais aussi la Turquie contre l’Europe.
Les électeurs grecs, tout en récompensant les progrès obtenus dans le relèvement du pays, ont aussi sanctionné Syriza et la volte-face effectuée à l’été 2015 par Alexis Tsipras qui, après avoir organisé un référendum pour appeler au rejet de l’accord avec l’Union, s’y rallia puis appliqua les mesures d’austérité exigées par les créanciers. Il ne fait pas de doute qu’il s’est comporté en homme d’État en se détournant de sa propre démagogie et en refusant la dévaluation et la sortie de l’euro, qui auraient définitivement ruiné et marginalisé la Grèce sans rétablir ses comptes publics et sa compétitivité. Mais il a perdu la confiance des Grecs qui n’accordent aucune crédibilité au repositionnement social-démocrate de Syriza.
La pauvreté touche 26 % de la population
De fait, en dépit de son renouveau, la Grèce continue de souffrir des séquelles de la pire crise financière d’un pays développé depuis le krach de 1929. Le PIB reste inférieur de 20 % à son niveau de 2007. Le salaire moyen a diminué de 30 %. La pauvreté touche 26 % de la population et les inégalités ont explosé avec la réduction des transferts sociaux et l’explosion des prix de l’immobilier. D’où l’importance de tirer toutes les leçons de cette tragédie.
Charles Péguy soulignait que « le triomphe de la démagogie est passager mais ses ruines sont éternelles ». La Grèce a acquitté le prix fort pour la démagogie qui la conduisit à profiter de son entrée dans l’euro pour accumuler un déficit et une dette publics de 12,7 et 126 % du PIB, sur fond d’un déficit de 16 % du PIB de sa balance courante, puis à céder aux illusions entretenues par la radicalité d’Alexis Tsipras. Les promesses populistes ont débouché sur le plan de restructuration le plus important (260 milliards d’euros de prêts du FMI et de l’Union) mais aussi l’un des plus durs de l’histoire du capitalisme. Mais la Grèce a aussi montré que le redressement est possible à la condition de disposer d’un leadership et d’un projet crédibles ainsi que de mobiliser les citoyens. En acceptant les efforts indispensables pour se maintenir dans l’euro et dans l’Union, les Grecs ont sauvé leur économie et leur démocratie tout en montrant l’attachement des Européens à la zone euro et en contribuant à sa pérennité.
Dans le contexte de remontée des taux d’intérêt, des risques souverains et des tensions sur le système bancaire, le krach de la Grèce rappelle que ni les pays développés ni la zone euro ne sont à l’abri des chocs. La stabilité financière n’est pas plus acquise que la paix ; elle suppose une vigilance et une discipline permanentes. Tout particulièrement au moment où la croissance stagne, où l’inflation s’envole, où les États européens sont confrontés aux coûts du choc énergétique, de la réindustrialisation, de la transition écologique, du réarmement et du vieillissement qui augmentera les charges de retraite et de santé de 4,8 % et 2,7 % d’ici à 2060.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lepoint.fr
Chronique du 5 juin 2023