L’enjeu des JO de 2024, qui rassembleront 15.000 athlètes et 20.000 journalistes à Paris et se dérouleront devant 13 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs, est majeur.
Depuis leur renaissance à Athènes en 1896 grâce à Pierre de Coubertin, les Jeux olympiques sont la manifestation la plus médiatisée de la planète. Leur portée dépasse le domaine du sport et possède une dimension historique.
Les Jeux ont ainsi servi d’étendard à la transition démocratique de l’Espagne à Barcelone en 1992. Ils ont été instrumentalisés par les régimes totalitaires pour afficher leur supériorité sur les démocraties, à Berlin en 1936 ou à Pékin en 2008 et 2022. Ils furent le théâtre de la revendication du Black Power à Mexico en 1968 et devinrent l’épicentre du conflit israélo-palestinien avec la tragédie de Munich en 1972. Ils ont incarné les risques de l’économie de bulles, contribuant à la ruine de la Grèce avec les Jeux d’Athènes en 2004 qui coûtèrent 13 milliards d’euros ou à la chute du Brésil avec les Jeux de Rio 2016 qui engloutirent plus de 13 milliards de dollars, illustrant l’incompétence et la corruption de l’État.
L’enjeu des JO de 2024, qui rassembleront 15 000 athlètes et 20 000 journalistes à Paris et se dérouleront devant 13 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs, est majeur. Ils constituent une occasion unique d’interrompre le décrochage de la France et de restaurer son image et son influence.
Or à quatorze mois de leur ouverture, force est de constater que les JO de Paris 2024 sont mal partis. Et ce à l’image du sport français dont la situation est catastrophique. La fête du sport se résume pour l’heure à la déchéance et l’indignité de ses dirigeants. La démission de Brigitte Henriques, première femme à la tête du CNOSF, sur fond d’affaires financières et de féroces luttes de pouvoir, succède à celles de Noël Le Graët évincé de la Fédération de football, et de Bernard Laporte, poussé hors de la Fédération de rugby après avoir été condamné à deux ans de prison avec sursis pour corruption. Dans le même temps, le PNF instruit des plaintes concernant Gilles Moretton à la Fédération de tennis, le président de la Fédération de judo est soupçonné de conflit d’intérêts et une enquête est ouverte sur la maltraitance des gymnastes par les entraîneurs fédéraux.
La situation de Paris, censée être la vitrine de la France, est pour sa part critique. La ville est éventrée, insalubre et dangereuse. Elle demeure de très loin la capitale la plus sale d’Europe. Elle est totalement embolisée et hors d’état d’accueillir des millions de visiteurs alors que la vie de ses habitants est devenue infernale. Le climat social et politique délétère qui règne par ailleurs dans notre pays entretient la menace de mouvements sociaux qui pourraient créer le chaos.
L’affirmation selon laquelle les Jeux financeront les Jeux relève enfin de la grande illusion. Le budget initial de 6,2 milliards d’euros a été relevé à 8,8 milliards en décembre 2022. Compte tenu des retards, de l’ampleur des risques sécuritaires et de l’inflation, le coût final atteindra 10 milliards d’euros. Le financement du comité d’organisation à 96 % par le secteur privé est un leurre car les fonds proviennent essentiellement d’entreprises appartenant ou dépendant de l’État. Et l’État garantit par ailleurs tous les dépassements. Face à ces dépenses, les retombées pour l’économie française sont estimées entre 6 milliards et 10 milliards d’euros, soit un très fragile équilibre.
Il est encore temps de réussir les JO de Paris 2024, mais cela suppose un changement complet de stratégie et d’état d’esprit. Pour l’heure, sont à l’œuvre les mêmes méthodes qui ont conduit à la révolte des « gilets jaunes » ou à la gestion calamiteuse des débuts de la pandémie de Covid. L’État décide de tout, sans concertation avec les élus, sans coopération avec les entreprises qui ne servent que de caisse de démembrement de la dette publique, sans implication des citoyens. En l’absence de toute mobilisation collective, l’individualisme prévaut, avec pour symbole la fuite en masse des Parisiens et la location de leurs appartements à des prix stratosphériques via les plateformes numériques.
« Le spectacle du monde, remarquait Pythagore, ressemble à celui des Jeux olympiques : les uns y tiennent boutique et ne songent qu’à leur profit ; les autres y payent de leur personne et cherchent la gloire ; d’autres se contentent de voir les Jeux. » Ne laissons pas la France passer à côté des JO en nous limitant à tenir boutique et à les regarder de loin.
Utilisons cette chance exceptionnelle pour rassembler et relancer notre pays. Mobilisons les Français au lieu de les diviser. Misons sur leur fierté et leur engagement au lieu de les reléguer et de les placer sous surveillance.
Associons pleinement les entreprises pour compenser les difficultés prévisibles des services publics. Valorisons nos atouts de leader mondial du tourisme en mettant à l’honneur la richesse inouïe de notre gastronomie, de notre patrimoine, de nos paysages et de notre culture sur l’ensemble du territoire. Refaisons de Paris une ville-monde et renouons avec son histoire et son esprit. Plaçons ces Jeux sous le signe de l’espoir et de la fraternité, non de la peur et du repli.
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Chronique parue le 29 mai 2023