Si dans sa gestion de la politique intérieure la présidente du Conseil italien suit sa propre ligne, sa conversion à l’Union européenne a fait de l’Italie l’un des piliers des démocraties occidentales.
Il y a six mois, Giorgia Meloni devenait la première femme à accéder à la présidence du Conseil, à la tête d’une forte majorité dans les deux Assemblées. L’arrivée au pouvoir du leader de Fratelli d’Italia a suscité des craintes sur la réhabilitation du fascisme, la transformation de l’Italie en démocratie illibérale et la rupture avec l’Union. S’il est trop tôt pour porter un jugement définitif, force est de constater que Meloni a déjoué les oracles prédisant son inévitable échec. Sa popularité reste élevée puisqu’elle bénéficie du soutien de plus de la moitié des Italiens. Son parti est crédité de 30 % des voix. La coalition des droites a nettement remporté les élections de février 2023 dans les deux régions clés de la Lombardie et du Latium. La présidente du Conseil a imposé son autorité vis-à-vis de son gouvernement et de sa majorité tout en évitant d’entrer en conflit avec le très respecté président de la République. Loin de se trouver marginalisée dans l’Union ou dans l’Otan, elle a assumé et conforté le rôle et les responsabilités de l’Italie. Meloni tire parti de la sous-estimation de son talent et de son expérience politiques tant en Italie, par ses opposants et ses partenaires de la coalition, qu’en Europe. Elle a su valoriser son statut de première femme présidente du Conseil, directement désignée par les électeurs et non par des négociations opaques au sein de la classe politique. Elle est servie par la faiblesse et la division de l’opposition. Elle peut s’appuyer sur des performances économiques solides héritées de son prédécesseur, Mario Draghi, avec une croissance de 3,8 % en 2022, des exportations qui ont bondi de 19,9 % l’an dernier (contre 13,7 % pour l’Allemagne), une dette publique réduite de 155 % à 144 % du PIB.
Mais la première raison des débuts réussis de Meloni tient à sa modération dans l’exercice du pouvoir et à sa conversion à l’Union européenne qu’elle n’avait cessé de dénoncer. L’Italie est gouvernée par un techno-populisme qui obéit à une forme de dédoublement : la stratégie économique et financière respecte en tout point le cadre européen et s’inscrit dans la lignée de Draghi ; la politique intérieure est nettement plus idéologique, dominée par la réforme des institutions, la remise en cause de l’État-providence et la lutte contre l’immigration.
Loin de rompre avec l’Union et avec les démocraties occidentales, l’Italie de Meloni s’affiche comme l’un de leurs piliers. Face à l’enjeu décisif du plan EU Next Generation, qui prévoit de verser 191,5 milliards de subventions et de prêts à un pays privé de toute marge de manœuvre par son surendettement, la coalition a renoncé aux mesures les plus coûteuses de son programme pour présenter un budget conforme aux règles européennes. Elle a repris à son compte le projet de hub gazier avec le Maghreb afin d’éliminer la dépendance au gaz russe qui représentait 45 % de l’approvisionnement du pays. Elle s’est détournée de la démocratie illibérale de Viktor Orban et de la dictature de Vladimir Poutine. Elle s’est comportée en allié exemplaire des États-Unis et de l’Otan dans la guerre d’Ukraine et envisage de sortir de l’accord avec la Chine sur les « nouvelles routes de la soie » signé en 2019, qui transformait l’Italie en cheval de Troie pour les investissements de Pékin dans l’Union.
Tout autre est la posture en politique intérieure. Meloni a martelé sa volonté de présidentialiser les institutions et de rationaliser la décentralisation. Elle a engagé la reprise en main de l’État-providence en supprimant le revenu citoyen pour 1,5 million de ménages, réforme emblématique du M5S.
Elle a décrété un état d’urgence pour l’immigration et fortement diminué le nombre d’étrangers autorisés à travailler en Italie. Au nom de son triptyque « Dieu, famille, patrie », elle a refusé l’état civil pour les enfants nés par GPA à l’étranger et interdit les rave-partys.
Cet europopulisme, pragmatique à l’extérieur et radical à l’intérieur, témoigne d’une réelle habileté mais ne peut résoudre les problèmes structurels de l’Italie : la crise de la démographie marquée par la diminution de la population à 58,85 millions d’habitants et l’exil des jeunes ; la stagnation du PIB inférieur de 3,5 % à son pic historique ; le poids de l’économie souterraine ; la chute du niveau de vie de 10 % au cours de la dernière décennie ; les inégalités entre le Nord et le Sud ; la dette publique de 2 760 milliards d’euros, dont le service s’élève à plus de 4 % du PIB ; le désarroi identitaire face à l’afflux des migrants ; la bureaucratie et la corruption de l’État.
Le premier mérite de Meloni consiste à avoir accepté la réalité qui fait que l’Italie, incapable de traiter ses propres maux, ne peut se sauver que par l’Europe et à avoir adapté en conséquence son discours et ses actes. Le moindre des paradoxes n’est pas que le gouvernement de l’Italie par l’extrême droite clôt définitivement, après la catastrophe du Brexit, la contestation de l’Union européenne et de l’euro. C’est la France d’Emmanuel Macron, et non l’Italie, qui se trouve isolée politiquement en Europe comme au sein des démocraties occidentales et qui s’affirme, pour nos partenaires et nos alliés comme pour les marchés, comme l’homme malade du continent.
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Chronique parue le 22 mai 2023