La part de l’industrie dans le PIB français est tombée à moins de 10 %. La multiplication des projets d’usines met un coup d’arrêt à cette saignée.
Le groupe taïwanais ProLogium a décidé d’investir à Dunkerque 5,2 milliards d’euros dans une gigafactory de batteries pour équiper 500 000 à 700 000 voitures électriques à l’horizon 2030. Le projet créera 3 000 emplois et s’inscrit dans une filière intégrant la transformation du lithium en amont et le recyclage des batteries en aval. L’installation d’une quatrième gigafactory dans les Hauts-de-France marque la renaissance de l’activité manufacturière dans une région qui fut au coeur de la révolution industrielle avant d’être sinistrée par la fermeture des mines ainsi que par la crise de la sidérurgie et du textile. Elle témoigne d’une prise de conscience tardive mais salutaire de l’urgence de la réindustrialisation.
La France constitue le cas extrême de la désindustrialisation qui a touché l’ensemble des pays développés depuis la fin du XXe siècle, à la notable exception de l’Allemagne. En un quart de siècle, la part de l’industrie a chuté de 23 % à moins de 10 % du PIB dans notre pays, alors qu’elle s’établit à 16 % dans la zone euro et 22 % en Allemagne. En 2023, la production industrielle plafonne à son niveau de 1997 alors que la demande a progressé de 65 %. Notre pays ne produit plus que 36 % de sa consommation de biens manufacturés, 15 % pour l’habillement et les chaussures, 16 % pour les appareils ménagers, 24 % pour le matériel informatique et audiovisuel, 30 % pour l’ameublement.
Le succès des filières de l’aéronautique, de l’armement ou du luxe – qui génère un million d’emplois et 70 milliards d’euros d’exportations – ne peut masquer ni la faillite du secteur public – avec pour symbole EDF, qui affiche 18 milliards d’euros de pertes et 65 milliards de dettes au moment où les prix de l’électricité sont au plus haut -, ni les rachats en chaîne de fleurons nationaux déchus par des groupes étrangers, tels Pechiney par Alcan, Arcelor par Mittal, Alstom par General Electric, Alcatel-Lucent par Nokia ou Lafarge par Holcim.
Les entreprises françaises prises en tenaille
L’effondrement de l’industrie française a des conséquences dévastatrices. Il contribue puissamment à la baisse de la productivité et de la croissance comme au déclassement de notre recherche. Il a provoqué la destruction de 2,5 millions d’emplois depuis 2000. Il explique le creusement du déficit commercial, qui culmine à 164 milliards d’euros en 2022. Il joue un rôle central dans la perte de notre souveraineté, avec la dépendance croissante aux importations dans le domaine de l’électricité, des biens essentiels – dont le dernier avatar se trouve dans les pénuries de médicaments -, de la technologie ou des produits agroalimentaires.
La réindustrialisation est donc un impératif, renforcée par la révolution numérique, la transition écologique et les menaces stratégiques émanant des empires autoritaires. Elle est d’autant plus urgente que nos entreprises sont prises en tenaille entre la concurrence déloyale de la Chine et le protectionnisme des États-Unis – à travers l’Inflation Reduction Act -, entre la qualité de l’industrie allemande et l’amélioration de la compétitivité-prix de l’Italie et de l’Espagne.
La multiplication des projets de gigafactory sur notre territoire témoigne de l’arrêt de la désindustrialisation. Depuis 2017 en effet, 300 ouvertures nettes d’usines ont été enregistrées, après 600 fermetures entre 2008 et 2016. Simultanément la France s’affirme comme la première destination européenne pour les investissements étrangers avec 1 259 implantations ou extensions en 2022 contre 929 pour le Royaume-Uni et 832 pour l’Allemagne.
Les réformes paient
La France bénéficie certes de la catastrophe du Brexit qui a ruiné la position stratégique du Royaume-Uni ainsi que de l’obsolescence du mercantilisme allemand à la suite de la guerre d’Ukraine. Mais elle touche surtout les dividendes des efforts réalisés pour améliorer son attractivité dans le domaine fiscal et social et assurer une visibilité aux entrepreneurs et aux investisseurs. Il s’agit là, avec la diminution du chômage liée à la relance de l’apprentissage, du principal succès à mettre à l’actif d’Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir – et ce même s’il est compromis par la débâcle de la politique énergétique.
Le blocage de la désindustrialisation montre que les réformes paient. Pour autant, l’industrie est à peine convalescente. Notre pays n’a absorbé que 1,7 % des investissements étrangers mondiaux au cours de la décennie passée, ce qui conduit à relativiser sa performance. Le redressement de son attractivité demeure fragile et se trouve menacé par la persistance des surcoûts fiscaux et sociaux, par le surendettement public et privé, par la dégradation du dialogue social, par l’installation d’une crise politique systémique.
Besoin d’un cadre fiscal et normatif stable
La désindustrialisation n’a rien d’une fatalité ; elle est le produit des erreurs de la politique économique de la France depuis les années 1980, des nationalisations à la fiscalité sur la production et le capital en passant par la loi des 35 heures. La réindustrialisation est parfaitement possible, mais elle demande davantage que l’extension du quoi qu’il en coûte à l’industrie à travers l’annonce d’un nouveau crédit d’impôt écologique ou du conditionnement du bonus automobile à l’empreinte carbone du véhicule.
L’industrie a moins besoin d’argent public que d’un cadre fiscal et normatif stable, de la mise à disposition de facteurs de production compétitifs et d’un état d’esprit favorable. Il est essentiel de poursuivre la normalisation des impôts et des charges acquittés par les entreprises, qui représentent 18 % du PIB en France contre 14,5 % en Italie, 12 % en Espagne et 9 % en Allemagne.
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Chronique du 18 mai 2023