Faute d’ambition, le projet de loi de programmation militaire (LPM) ne répond pas à la gravité ni à l’urgence des défis dictés par le contexte international.
Le 4 avril a été présenté en conseil des ministres le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Il prévoit de mobiliser 413 milliards d’euros pour la défense de la France d’ici à la fin de la décennie, soit une progression de 40 % par rapport aux 295 milliards engagés pour la période 2019 à 2025. Si l’effort paraît significatif, la LPM manque sa cible : présentée comme une loi de transformation après une loi de réparation, elle n’enclenche pas le réarmement que justifient la menace de la Russie sur la sécurité de l’Europe comme le regain du péril djihadiste, nourri par l’échec français au Sahel.
Sur fond de course mondiale aux armements, avec des dépenses militaires qui ont dépassé 2 200 milliards de dollars en 2022, la LPM renforce le renseignement et le spatial à hauteur de 5 milliards et 6 milliards d’euros. Elle investit plus de 6 milliards par an dans la modernisation de la dissuasion à travers le lancement d’une troisième génération de sous-marins et la rénovation des missiles M51.3 et ASMP. Elle provisionne 2 milliards pour les forces spéciales, affecte 4 milliards à la cyberdéfense ou encore déploie 10 milliards en faveur des technologies de rupture, notamment l’hypervélocité et le quantique.
Cet inventaire peut donner le vertige. Il convient pourtant de relativiser l’effort financier réalisé pour notre sécurité. Il est d’abord miné par l’inflation, qui porte la simple reconduction de la précédente LPM à 380 milliards. Par ailleurs, la progression du budget intervient principalement à partir de 2028, avec des hausses de 4,3 milliards par an, soit un report sur le prochain quinquennat – artifice que ne parvient pas à masquer la rallonge exceptionnelle de 1,5 milliard décidée pour 2023. Le choix de couvrir un spectre immense, des grands fonds marins à l’espace, du territoire national à l’Indo-Pacifique, masque un vide inquiétant concernant le cœur des forces, avec la perpétuation du manque criant de véhicules blindés Griffon, Jaguar et Serval ainsi que d’artillerie pour l’armée de terre, d’avions Rafale pour l’armée de l’air et de frégates pour la marine. La France parie ainsi implicitement sur l’Otan pour sa défense conventionnelle, au prix de la réduction de son autonomie de décision, de l’affaiblissement de la dissuasion et de la mise en doute de sa crédibilité auprès de ses partenaires européens.
La revendication du statut de puissance d’équilibre, déclinaison géopolitique du « en même temps » d’Emmanuel Macron, n’a pas de sens dans un monde en guerre où les démocraties font l’objet d’une menace vitale de la part des empires autoritaires. Elle conduit à multiplier les fautes et les échecs, de la complaisance affichée envers la Russie de Vladimir Poutine ou la Chine de Xi Jinping au retrait chaotique d’Afrique en passant par la distance croissante avec les puissances du Sud global. Le bouleversement du contexte international appelait un livre blanc, et non une décision solitaire et verticale qui débouche sur une revue stratégique indigente et sur une LPM qui occulte l’urgence d’un véritable réarmement. Il en résulte un risque social élevé d’une incompréhension de l’indispensable effort de défense par les Français, à l’heure où la réforme des retraites exacerbe colères et protestations.
La LPM montre que la France d’Emmanuel Macron ne dispose ni des moyens financiers, ni de la volonté politique de réarmer. L’État providence, qui monopolise 34 % du PIB, a cannibalisé l’État régalien.