Les déclarations du président en Chine ruinent son projet de refondation de l’Union européenne autour de la souveraineté économique et sécuritaire.
En enchaînant déplacement en Chine et visite d’État aux Pays-Bas, Emmanuel Macron cherchait dans l’activisme sur la scène internationale un dérivatif à la crise, aussi bien sociale que politique, déclenchée par la réforme des retraites. Il n’a réussi qu’à ajouter une déroute diplomatique au blocage de la France. Sun Tzu souligne dans L’Art de la guerre que « la grande science est de faire vouloir à autrui tout ce que vous voulez qu’il fasse. Et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder ». C’est ce qu’a magistralement réussi Xi Jinping avec Emmanuel Macron.
Le président chinois a opposé une fin de non-recevoir à la demande naïve faite à la Chine de jouer un rôle de médiateur dans le conflit ukrainien, au moment où son partenariat stratégique avec Moscou se transforme en alliance et alors que le pseudo-plan de paix chinois se résume à la sanctuarisation des conquêtes russes. Il n’a pas manqué d’enfoncer un coin entre la position de l’Union européenne et celle de la France.
La position européenne sapée
Emmanuel Macron, en mettant en scène la signature de contrats de long terme, a acté la dépendance de notre pays vis-à-vis de la Chine – matérialisée par un déficit commercial passé de 30 à 54 milliards d’euros depuis 2017 -, au moment où les entreprises et les investisseurs occidentaux se retirent d’un pays devenu aussi dangereux économiquement que géopolitiquement.
Il a ainsi sapé la position européenne défendue par Ursula von der Leyen, qui s’appuyait, à raison, sur le rôle décisif des exportations vers le grand marché dans la relance de la croissance chinoise – cassée par la stratégie zéro Covid et le rétablissement de la tutelle du Parti communiste sur les entreprises -, pour marquer que l’attitude de Pékin face à la guerre en Ukraine conditionne ses relations futures avec l’Union.
Un blanc-seing à Xi Jinping
Le coup de grâce est intervenu avec les déclarations d’Emmanuel Macron sur Taïwan, au moment précis où la Chine engageait des manœuvres militaires en mobilisant 12 bâtiments de première ligne – dont un porte-avions – et 91 avions pour simuler un blocus total de l’île. Le président français a tout à la fois justifié la revendication de la Chine sur Taïwan, critiqué vertement les États-Unis – du soutien de Taïpei aux sanctions en passant par l’extraterritorialité du dollar -, appelé à la neutralité de l’Europe et annoncé la non-intervention de la France en cas de conflit.
Emmanuel Macron a ainsi repris à son compte l’intégralité des positions de Pékin, divisé les démocraties et donné un blanc-seing à Xi Jinping pour une invasion militaire de Taïwan. Il annihile au passage la stratégie indo-pacifique, dont se réclame la nouvelle loi de programmation militaire, et légitime le revirement de l’Australie, qui a mis fin au contrat des sous-marins français pour se tourner vers les États-Unis à travers le traité Aukus afin de contrer l’expansion de la Chine dans le Pacifique.
Fanfaronnades gramsciennes
En se faisant le porte-parole des autocrates et en affichant le manque de fiabilité de la France en tant qu’alliée, Emmanuel Macron a ruiné par avance son appel en faveur d’une souveraineté de l’Europe. Il a lui-même euthanasié son discours de La Haye, qui plaidait pour la refondation de l’Union autour de la sécurité économique en conjuguant compétitivité, politique industrielle, protection, réciprocité dans les accords commerciaux, coopération avec les autres grands pôles – notamment les géants du Sud. Ses fanfaronnades gramsciennes se félicitant « d’avoir gagné la bataille idéologique de l’autonomie stratégique européenne » ont souligné son complet isolement.
Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a ainsi déploré des propos « malheureux », tandis que le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, condamnait une « attitude à courte vue sur la Chine » et que Gabrielius Landsbergis, le ministre des Affaires étrangères de la Lituanie, proposait de « reconnaître les avantages et la nécessité de l’unité transatlantique au lieu de mendier auprès des dictateurs qu’ils aident à assurer la paix en Europe ».
En apesanteur
Au terme de cette séquence dévastatrice, Emmanuel Macron a dramatiquement affaibli la position diplomatique de la France et de l’Europe, dont il a accru les divisions et le désarroi dans un moment critique de l’Histoire. L’Europe ne peut, en effet, pas davantage rester neutre face aux empires autoritaires, qui se fixent pour objectifs l’éradication de la démocratie et la destruction de l’Occident, que la sécurité économique ne peut être découplée de la géopolitique.
Emmanuel Macron est aujourd’hui en apesanteur, aussi déconnecté des réalités internationales que de la société française. Il s’est enfermé dans le déni. Déni sur la nature des tyrannies du XXIe siècle et sur les volontés impériales de leurs dirigeants, vis-à-vis desquels il cultive une stratégie de l’apaisement qui consiste, comme l’avait relevé en son temps Winston Churchill, à « nourrir un crocodile en espérant qu’il vous mange en dernier ».
Déni face au changement d’ère stratégique provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui place l’Europe en première ligne dans la grande confrontation entre empires autoritaires et démocraties. Déni sur la menace qui pèse sur Taïwan et qui ne se limite pas plus à l’Asie que l’invasion de l’Ukraine n’est un conflit européen, en raison de l’enjeu déterminant que représente l’île pour la liberté politique dans le Pacifique, pour l’équilibre des forces dans le monde, pour la crédibilité de la garantie de sécurité des États-Unis et pour l’économie mondiale. Déni sur la vulnérabilité de l’Union et sur la faiblesse de la France qui est en passe de se faire expulser d’Afrique par la Russie.
Inconséquent
La France doit désormais redéfinir sa politique étrangère en s’inspirant du général de Gaulle, qui a toujours placé notre pays dans le camp de la liberté lors des crises de la guerre froide et n’a déployé sa politique d’indépendance en Europe et dans le monde qu’après avoir modernisé la République, réformé l’État, trouvé une issue à la tragédie algérienne et rassemblé la nation.
Le cardinal de Retz rappelait à juste titre qu’« il sied moins encore à un ministre de dire des sottises que d’en faire ». Il est inconséquent de plaider pour la souveraineté européenne quand on ne parvient ni à présider ni à gouverner une France en voie d’affaissement. Il est absurde de prétendre construire l’autonomie stratégique de l’Europe dans un seul pays. Il est irresponsable de rééditer les erreurs des années 1930 en divisant et en opposant les démocraties au moment où elles sont confrontées à la menace existentielle des empires autoritaires.