L’intelligence artificielle ouvre la perspective de progrès économiques et sociaux décisifs, à travers les gains de productivité générés dans les services ainsi que la mise à disposition des connaissances pour le plus grand nombre. Mais cette nouvelle révolution comporte aussi des risques élevés.
Le robot conversationnel d’OpenAI, ChatGPT, révolutionne la planète en ouvrant l’accès à l’intelligence artificielle avec une vitesse de développement et de diffusion sans précédent. Quatre mois seulement ont séparé son lancement et la mise sur le marché de la version GPT-4, qui compte déjà plus de 100 millions d’utilisateurs sur tous les continents. Elle devrait céder la place dès septembre à GPT-4.5, puis à une intelligence artificielle intégrale annoncée pour 2025. Celle-ci pourrait non seulement dépasser l’homme dans la recherche d’informations et de connaissance ainsi que dans la production de contenus, mais rivaliser avec lui pour raisonner et innover.
Ainsi, au Japon, le ministre de l’Économie envisage de l’utiliser pour répondre aux questions parlementaires tandis qu’à Singapour le ministre de l’Éducation, jugeant que l’intelligence artificielle a vocation à devenir centrale dans l’enseignement, a engagé un vaste programme de formation des professeurs.
Avec ChatGPT, l’informatique connaît sa quatrième révolution. La première, symbolisée par IBM, consista à mécaniser les opérations. La deuxième, attachée à l’éclatement du monopole d’ATT dans les télécommunications aux États-Unis, vit l’émergence du téléphone portable et d’internet. La troisième, indissociable des Gafam, fut placée sous le signe de la collecte et de l’exploitation des données personnelles. La quatrième, qui s’ouvre avec ChatGPT, fait entrer l’humanité dans l’âge de l’intelligence artificielle.
La révolution ChatGPT se distingue cependant des précédentes. Par sa rapidité puisqu’elle s’effectue en quelques semaines alors qu’un siècle avait été nécessaire pour la généralisation de la machine à vapeur, plusieurs décennies pour le chemin de fer et l’automobile, vingt ans pour l’ordinateur ou dix ans pour le téléphone portable. Par ses effets économiques et sociaux puisqu’elle touche en priorité les emplois de conception très qualifiés – financiers, avocats, médecins, architectes, journalistes, enseignants et chercheurs, codeurs et développeurs – et non les postes d’exécution. Par ses enjeux philosophiques et moraux puisque la machine ne prolonge plus l’action de l’homme mais se substitue à lui pour la conception d’opérations complexes et uniques.
L’intelligence artificielle ouvre la perspective de progrès économiques et sociaux décisifs, à travers les gains de productivité générés dans les services ainsi que la mise à disposition des connaissances pour le plus grand nombre, ce qui constitue un levier très efficace pour réduire les inégalités. Elle peut aussi contribuer au basculement vers une croissance qualitative, compatible avec la transition écologique.
Mais cette nouvelle révolution comporte aussi des risques élevés. Sur l’emploi, avec la possible destruction de plus de 300 millions de postes de travail à haute valeur ajoutée dans le monde.
Sur le capitalisme, avec la constitution d’oligopoles confisquant l’innovation et accumulant de formidables rentes sur le modèle des Gafam. Sur la sécurité avec le développement des cyberattaques et de la désinformation. Sur la liberté avec la prise de contrôle et la manipulation des données personnelles. Sur la souveraineté, compte tenu du duopole formé par la Chine, qui dépose 52 % des brevets dans le domaine de l’intelligence artificielle, et les États-Unis qui en génèrent 17 % – contre 4 % pour l’Union européenne et le Royaume-Uni. Sur l’avenir de l’humanité avec la diffusion des biais cognitifs, la possible perte de contrôle de systèmes numériques toujours plus puissants, voire l’émergence d’une intelligence artificielle hostile.
La pause, demandée par 1 300 experts et personnalités de la Silicon Valley, dont Elon Musk, ou l’interdiction ne paraissent pas des réponses adaptées et crédibles, comme le montre le contournement massif de la prohibition en Italie à travers le recours aux VPN. En revanche, il est vital de ne pas rééditer l’erreur commise avec internet d’une absence de régulation qui s’est traduite par des atteintes majeures aux libertés individuelles.
Shakespeare rappelle dans Hamlet qu’« il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve toute la philosophie ». Il y a également plus de complexité dans le réel, dans les actions et l’imagination des hommes que n’en traitent les algorithmes. L’intelligence artificielle va transformer nos modes de vie, de travail et d’organisation. Mais elle doit rester cantonnée dans l’ordre des moyens et non des fins. Après avoir perdu le contrôle de l’ordre mondial, du capitalisme mondialisé et de la santé publique, nous n’avons pas le droit de perdre le contrôle de la société numérique.
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