L’agression de l’Ukraine par la Russie a provoqué le réengagement des États-Unis en Europe et la résurrection de l’Otan. Sous l’effet de la panique, les Européens se sont massivement tournés vers Washington. Ce choix logique, dès lors qu’il n’existe aucune alternative à court terme, présente plusieurs difficultés.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie marque un changement d’ère pour le monde, mais surtout pour l’Europe qui se trouve en première ligne dans la grande confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties.
Face à cette nouvelle donne, l’Europe se découvre vulnérable et désarmée. Elle acquitte au prix fort sa dépendance vis-à-vis de la Russie pour l’énergie, de la Chine pour les biens essentiels, des États-Unis pour la technologie, la sécurité et désormais pour le gaz. Son économie est prise en étau entre la poussée commerciale de la Chine, qui assure 18 % de ses importations contre 6 % en 2000, et le revirement protectionniste des États-Unis, symbolisé par l’IRA, qui pourrait mobiliser jusqu’à 1000 milliards de dollars et constitue une arme de destruction massive de l’industrie européenne. Sa stratégie de réaliser à marche forcée la transition climatique par les normes et la fiscalité bute sur la faiblesse de ses moyens de production et de l’innovation. Au total, l’Europe est en passe de devenir une zone de décroissance démographique, de stagnation économique et de paupérisation de la population.
Sur le plan stratégique, l’Union n’a pour seul recours que l’Otan face à la menace existentielle que la Russie fait peser sur sa sécurité. Elle se trouve moralement atteinte par la dissipation des illusions qu’elle a cultivées sur le droit et le marché comme facteurs de paix. Ce pari fut le socle de l’intégration européenne depuis les années 1950 ; il fonda l’élargissement à l’Europe orientale et aux États baltes ainsi que le mercantilisme complaisant entretenu, sous l’influence de l’Allemagne, envers les tyrannies du XXIe siècle.
Pour l’Union européenne, le statu quo est synonyme de marginalisation dans un monde fragmenté et violent, et donc d’implosion à terme. Il est vrai qu’un sursaut est intervenu depuis 2022, marqué par la mobilisation pour soutenir l’Ukraine – y compris sur le plan militaire -, les sanctions sans précédent visant la Russie et l’émancipation de ses hydrocarbures, le projet d’instauration d’une taxe carbone aux frontières du grand marché, le lancement du réarmement. Pour autant, ces progrès demeurent limités et précaires.
Le processus de décision de l’Union reste très complexe, lourd et lent en raison de sa nature de confédération d’États souverains. Il se prête mal à la gestion de crise indissociable d’une agilité et d’une réactivité fortes. Surtout, les divisions ont été exacerbées par les chocs en chaîne – avec pour symbole la divergence entre la France et l’Allemagne -, par la déstabilisation des modèles nationaux – mercantilisme allemand, décroissance par la dette française, malthusianisme italien -, par le basculement du centre de gravité de l’Union vers l’est et le nord, dont témoigne le poids de la Pologne où Joe Biden s’est rendu deux fois alors qu’il ne s’est déplacé ni à Paris ni à Berlin.
L’agression de l’Ukraine par la Russie a provoqué le réengagement des États-Unis en Europe et la résurrection de l’Otan, élargie à la Finlande et demain à la Suède. Sous l’effet de la panique, les Européens se sont massivement tournés vers Washington, emmenés par les pays de l’est et du nord du continent. Ce choix logique, dès lors qu’il n’existe aucune alternative à court terme, présente trois difficultés. D’abord il remet le destin du continent entre les mains d’une Amérique qui n’est plus celle de 1945, dont la démocratie est fragilisée et dont la priorité stratégique va en Asie avec la Chine et non en Europe avec la Russie. Ensuite, il postule l’alignement systématique des intérêts américains et européens, ce qui est faux. Enfin, il oublie que les États-Unis et l’Otan ne prendront jamais en charge des aspects majeurs de la sécurité de l’Europe comme la protection de ses frontières extérieures. La posture d’un pont entre les civilisations est séduisante mais se heurte à la fragmentation de la mondialisation en blocs, à la montée de la conflictualité, au ressentiment anti-occidental dans le « Sud global ».
Reste la construction d’une Europe-puissance, alliée des États-Unis mais souveraine, unie autour d’un modèle de société fondé sur un équilibre entre la compétitivité et la solidarité, l’État et le marché, la liberté et la protection. Elle se décline autour de la reconfiguration du grand marché, d’une politique industrielle ambitieuse dans les domaines numérique et climatique, de l’affirmation du droit européen et de l’internationalisation de l’euro, de la constitution d’un pilier européen de défense au sein de l’Otan. Elle passe par trois conditions : l’émergence d’une Union politique ; l’augmentation de ses ressources ; le redressement de la France qui porte ce projet depuis les années 1960, mais le délégitime par son affaissement.
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