Avant de rendre son dernier souffle, le sociologue Nicolas Menet, atteint d’un cancer, avait fait des propositions responsables et innovantes.
En France, la marque des gouvernements de gauche en situation d’échec économique et social consiste à vouloir légiférer dans le domaine sociétal afin de faire diversion et d’afficher leur progressisme dans les mœurs faute d’être capable de le traduire en prospérité, en sécurité et en stabilité pour les citoyens. Emmanuel Macron n’échappe pas à la règle, lui qui tente de sortir son quinquennat de l’impasse dans laquelle il l’a placé en militant pour la constitutionnalisation, inutile, de l’IVG.
Tout autre est le débat engagé autour de la fin de vie. S’il oppose les valeurs et les croyances philosophiques ou religieuses, il n’est pas dicté par des objectifs de communication politique, mais par les enjeux fondamentaux de la fin de vie. L’allongement de l’espérance de vie va en effet de pair avec la multiplication des maladies chroniques et dégénératives longues, accompagnées de souffrances et de handicaps moteurs, sensoriels et cognitifs lourds. Simultanément, le progrès médical, notamment dans les domaines de la réanimation, des chimio et radiothérapies, des traitements de haute précision, ouvre de vastes possibilités de prolongation de l’existence. Et la pandémie de Covid-19, avec l’abandon et la fin indigne réservés à nombre de personnes âgées dans les hôpitaux et les Ehpad, a jeté une lumière crue sur les conditions réelles de la mort, que notre société veut occulter.
Force est de constater que la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui régit la fin de vie en France n’est plus adaptée. Elle a certes innové en excluant l’obstination déraisonnable des soins, en introduisant la possibilité pour les patients majeurs de préciser leur choix par des directives anticipées, en instaurant le principe de la décision collégiale de l’équipe médicale et en prévoyant la possibilité d’un tiers de confiance de dialoguer avec elle. Pour autant, la loi de 2016 comporte de nombreux défauts. Elle reste largement ignorée des Français comme des médecins. Elle se heurte au manque de centres de soins palliatifs (26 départements en sont dépourvus), ce qui interdit à 60 % des Français d’y avoir accès. Elle ne prévoit la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès que pour les malades dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui souffrent énormément. L’euthanasie et le suicide assisté restent enfin réprimés par de lourdes peines.
« Il est urgent de permettre à chacun de définir un projet de fin de vie. »
Les équipes médicales qui sont quotidiennement confrontées à des patients en grande souffrance dont le pronostic vital est engagé à moyen terme soulignent le caractère intenable du statu quo. Dans les faits, plus de 1 000 euthanasies clandestines se déroulent chaque année et plusieurs centaines de Français se rendent en Belgique et en Suisse pour bénéficier d’une aide active à la fin de vie, à l’image de Paulette Guinchard, qui fut secrétaire d’État de Lionel Jospin. La France se trouve ainsi de plus en plus isolée en Europe : la Suisse autorise le suicide assisté depuis 1937 ; la Belgique et les Pays-Bas ont légalisé l’euthanasie en 2002, suivis par le Luxembourg en 2009 et l’Espagne en 2021 ; l’Autriche admet le suicide assisté depuis 2022.
La réflexion sur la fin de vie ne peut pas rester le monopole des religions ou du corps médical. Elle ne peut pas non plus être enfermée dans les travaux de la convention citoyenne. Le témoignage et les propositions de Nicolas Menet, sociologue et directeur général du réseau Silver Valley, mort à 43 ans d’un glioblastome de grade 4, sont autrement plus responsables et innovants, fondés sur la possibilité ouverte à chacun de définir un projet de fin de vie.
De fait, l’objectif n’est pas la dépénalisation, mais la réhabilitation de la fin de vie. Il ne peut être question de libéraliser le droit de donner la mort ou d’obliger les médecins à pratiquer l’euthanasie. Il s’agit de réconcilier l’éthique de l’autonomie, qui justifie l’expression de la liberté y compris sur sa propre mort, l’éthique de la responsabilité, qui exige le respect de la vie humaine, l’éthique médicale du soin au service de la préservation de la vie. Ceci implique de mettre la personne en fin de vie au cœur de la décision tout en organisant l’intervention des soignants.
Il nous faut de toute urgence faire un gros effort de pédagogie auprès des patients sur les conditions de la fin de leur vie, renforcer les unités de soins palliatifs afin d’en garantir l’accès à tous sur tout le territoire et former les soignants. En outre, une aide active à mourir doit être autorisée pour les malades majeurs en souffrance dont le pronostic vital est engagé, encadrée par une demande libre, éclairée et réitérée et par un dialogue avec l’équipe médicale – une clause de conscience étant maintenue pour les médecins qui refuseraient de pratiquer l’euthanasie ou un suicide assisté pour des raisons éthiques.
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