Il faut agir vite pour la santé mentale. Un secteur déjà durement éprouvé par le Covid-19. En France, 13 millions de personnes sont victimes de pathologies mentales.
Sous la levée par l’OMS de l’état d’urgence sanitaire mondial concernant l’épidémie de Covid-19 qui a fait plus de 20 millions de morts, pointe la priorité que constitue la santé mentale. Sur les 8 milliards d’hommes que compte notre planète, une personne sur cinq souffre de troubles psychiatriques et une sur cent de schizophrénie.
En France, avant l’épidémie, 13 millions de personnes étaient victimes de pathologies mentales : dépression (8,8 % de la population), troubles bipolaires (1,2 à 5,5 %) et troubles du spectre de l’autisme (1 %). La pandémie a entraîné une spectaculaire dégradation de l’état de santé mentale des Français, tant du fait de la maladie – le Covid entraînant des symptômes neuropsychiatriques chez un tiers des personnes infectées – que des troubles créés par les confinements. Un Français sur quatre est désormais atteint de maux psychiatriques. Les troubles anxieux et dépressifs sont en hausse de 30 %, les addictions de 50 % et les suicides de 10 %. Les idées suicidaires et tentatives de suicide ont fortement progressé, particulièrement chez les jeunes filles de 10 à 24 ans ; elles aboutissent à 9 200 décès par an, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe (12,5 suicides pour 100 000 habitants contre 10,3 en moyenne).
Désert psychiatrique
Les maladies mentales constituent désormais la première cause de handicap et d’affections chroniques en France, loin devant les cancers et les maladies cardiovasculaires. La psychiatrie constitue donc une urgence majeure de santé publique. Or elle est sinistrée. Alors même que notre pays a joué un rôle central dans la naissance et le développement de la discipline – de Philippe Pinel qui l’inventa en 1791 aux travaux de Jean-Martin Charcot sur le système nerveux ou à la découverte par Henri Laborit des premiers neuroleptiques et anxiolytiques en passant par la création d’établissements spécialisés dans chaque département par Jean-Étienne Esquirol au XIXe siècle -, la France est devenue un désert psychiatrique.
En dix ans, le budget de la psychiatrie a chuté de 12,7 % en termes réels et a progressé deux fois moins vite que les dépenses de santé. La perte d’attractivité se traduit par une fuite massive des soignants : sur 3 500 postes de praticiens hospitaliers, 1 600 sont vacants, de même que 30 % des postes d’infirmiers. La pénurie, brutalement aggravée par l’interdiction du recours aux postes d’intérimaires qui constituait l’ultime variable d’ajustement, se traduit par la multiplication des fermetures de lits, effectuées par les ARS dans la plus grande opacité et sans lien avec les besoins. Enfin, la recherche et l’innovation sont au point mort faute de financements, alors qu’elles connaissent un puissant essor aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe du Nord (4 % du budget de la recherche médicale en France contre 16 % aux États-Unis, où les start-up investissent par ailleurs plus d’un milliard de dollars par an dans la psychiatrie).
La déshérence de la psychiatrie a des conséquences dramatiques pour la santé publique. Seuls 40 à 60 % des malades sont pris en charge, ce qui entraîne de nombreuses tragédies. Dix à quinze ans s’écoulent entre les premiers symptômes et le dépistage des troubles. La pédopsychiatrie est en voie de disparition. Le déni de soin est systématique envers les personnes en grande précarité, qu’il s’agisse des SDF, des migrants ou des détenus. Tout ceci contribue à entretenir une pression insoutenable sur les urgences générales. Au total, l’espérance de vie des malades est réduite de treize ans en moyenne, notamment du fait des suicides.
Les dommages ne sont pas moins grands pour l’économie et pour l’État de droit. Les coûts induits par les maladies psychiatriques sont estimés à 200 milliards d’euros et devraient atteindre 300 milliards en 2030, notamment du fait des pertes de production et de la dégradation de la qualité de vie. Enfin, l’insuffisance de la prévention et la pénurie des soins débouchent sur un recours disproportionné aux placements en soins sans consentement, qui deviennent la condition d’accès à l’hospitalisation, comme aux mesures d’isolement ou de contention qui portent atteinte à la dignité des malades.
67 % des dépressions traitées rapidement sont guéries
Cette situation est inacceptable au regard des lourdes séquelles de l’épidémie de Covid-19, mais aussi des défis liés au vieillissement, à l’économie de la connaissance, à la place centrale du cerveau dans la médecine du XXIe siècle. Il est donc temps de rompre avec la peur qu’inspirent les troubles mentaux et avec la croyance fausse selon laquelle ils ne peuvent être soignés – alors que 67 % des dépressions et 60 % des schizophrénies traitées rapidement sont guéries.
La psychiatrie doit cesser d’être l’angle mort de notre système de santé pour être érigée en grande cause nationale, en s’inspirant du succès obtenu dans la lutte contre le cancer. Et ce d’autant que le taux de retour sur investissements dans les soins et la recherche psychiatriques est évalué à 37 %, ce qui est particulièrement élevé. La psychiatrie devrait ainsi faire l’objet d’un plan de cinq ans, piloté par une Agence de la santé mentale et doté d’un milliard d’euros. Avec six priorités : la lutte contre la stigmatisation des malades et de leurs proches ; la systématisation de la prévention chez les jeunes ; la réhabilitation des métiers du soin psychiatrique et la formation des soignants ; la réorganisation de l’offre autour de la coopération entre psychiatres, médecins de ville, infirmiers et psychologues mais aussi familles des malades ; la flexibilité des financements en rupture avec le budget global qui fige les institutions et les pratiques ; enfin, un effort massif en faveur de la recherche et de l’innovation – y compris à travers le développement de fonds d’investissement spécialisés.
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