L’ambition des régimes russe et chinois ne vise rien de moins que l’éradication des démocraties. Il est encore temps de réagir tout en évitant l’escalade.
Le deuxième sommet pour la démocratie organisé par Joe Biden les 29 et 30 mars avait pour objet de « rassembler les dirigeants du monde entier pour renforcer nos institutions démocratiques, honorer nos valeurs communes et relever les défis auxquels sont confrontées les démocraties ». Le premier, qui avait réuni en décembre 2021 en mode virtuel un ensemble hétéroclite de nations relevait avant tout de la communication. Il en va tout autrement depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a ouvert une grande confrontation entre les démocraties et les régimes autoritaires. Elle exige des nations libres, au-delà du soutien apporté à Kiev, qu’elles clarifient leurs principes et qu’elles se dotent d’une stratégie de long terme pour répondre au défi existentiel que leur lancent les tyrannies du XXIe siècle.
La situation géopolitique est bien différente du tableau optimiste dressé par Joe Biden. Il est vrai que l’année 2022 a vu les empires autoritaires enregistrer d’importants revers : la Chine est confrontée à un impressionnant déclin démographique, au ralentissement de son économie et aux résistances que suscitent ses ambitions impériales ; la Russie se trouve dans une impasse complète qui ne lui laisse pour seule stratégie que sa vassalisation par la Chine ; l’Iran des mollahs est en passe d’accéder à l’arme atomique, mais affronte le soulèvement massif des Iraniens ; l’État AKP, cœur de la Turquie d’Erdogan, a fait faillite lors du séisme qui a dévasté le sud-est du pays. Simultanément, les démocraties, jugées décadentes, se sont réveillées ; l’Ukraine fait mieux que résister à l’agression russe ; les nations libres d’Europe et d’Asie se réarment ; les États-Unis se réengagent aux côtés de l’Ukraine ou de Taïwan ; l’Otan ressuscitée s’élargit à la Finlande et à la Suède, tandis que l’Aukus se met en place et que le Japon et la Corée du Sud se rapprochent.
Pour autant, les empires autoritaires sont loin d’avoir perdu. Après avoir assis son pouvoir absolu à Pékin, où le Parti communiste contrôle de nouveau l’économie, la société et l’armée, Xi Jinping a soutenu Vladimir Poutine au lendemain de son inculpation par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. Portant sur l’énergie, le numérique, le nucléaire, l’espace et le militaire, le partenariat stratégique développé par la Chine et la Russie depuis 1996 évolue vers une véritable alliance. Et ce même s’il est totalement asymétrique et déséquilibré en faveur de Pékin.
Le projet de la Chine, soutenu par la Russie, d’un nouvel ordre mondial qui marginaliserait l’Occident et serait organisé autour de zones d’influence impériales, rencontre, par ailleurs, un large écho au sein du Sud global. Le modèle autoritaire promu par Pékin s’exporte sur tous les continents. L’instauration d’un pétro-yuan comme les prêts et les investissements des nouvelles routes de la soie poursuivent la dédollarisation des échanges et des paiements mondiaux. Enfin, l’influence de la Chine devient mondiale, avec pour symbole la médiation effectuée entre l’Iran et l’Arabie saoudite. S’appuyant sur le ressentiment contre l’Occident, aussi bien fondé sur le passé colonial que sur la gestion de l’épidémie de Covid, Pékin poursuit méthodiquement l’encerclement de l’ouest par le sud. Non sans succès, puisque les 39 pays, sur 193, qui se sont opposés ou se sont abstenus lors du vote à l’ONU, le 23 février 2023, de la résolution condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie représentent le tiers du PIB mondial et comptent 4,2 milliards des 8 milliards d’hommes qui peuplent la planète.
Les démocraties, de fait, demeurent très minoritaires puisqu’on n’en dénombre que 21 à part entière et 53 imparfaites. Par ailleurs, elles sont fragilisées, comme le montrent le dérèglement des institutions et la quasi-guerre civile qui divise les États-Unis, avec pour symbole la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Il est d’autant plus important qu’elles parviennent à s’unir autour d’une stratégie de long terme d’endiguement des empires autoritaires.
Il est essentiel de ne pas faire reposer la défense de la liberté sur une croisade idéologique mais sur la raison politique. La condition première consiste à sortir du déni autour de la nature des régimes chinois et russe et des ambitions de leurs dirigeants, qui ne se contentent pas de désigner la démocratie comme leur ennemie mais revendiquent son éradication. Il est donc vain de rechercher un compromis avec eux. Mais cela n’implique aucunement d’enclencher une escalade militaire qui déboucherait sur un conflit mondial. Pour assurer leur sécurité tout en prévenant une guerre globale, les démocraties gagneraient à se doter d’une stratégie organisée autour de cinq axes. Le rétablissement d’une dissuasion militaire crédible indispensable pour empêcher l’escalade. La reconstitution du leadership technologique. Le renforcement de la résilience des nations, qu’il s’agisse de la réduction de leur dépendance économique, de la protection de leurs infrastructures, et principalement de leur stabilité politique et sociale, qui passe par la consolidation de la classe moyenne à travers un nouveau pacte économique et social. La poursuite du dialogue avec les sociétés civiles des empires autoritaires dans l’espoir de leur réveil. Enfin, le réengagement en faveur des États du Sud qu’il est vital de détacher de la Chine et de la Russie en répondant à leurs urgences sanitaires, économiques, financières, climatiques ou sécuritaires.
Les démocraties sont en grand danger mais peuvent surmonter la confrontation avec les empires autoritaires.