Les scrutins des 14 et 28 mai prochains placent le pays devant un choix de civilisation.
Cent ans après la fondation de la République par Mustafa Kemal Atatürk, la Turquie s’apprête à connaître, les 14 et 28 mai – en cas de second tour – , une élection présidentielle historique. Elle ne constitue pas seulement un référendum sur Recep Tayyip Erdogan. Elle place la Turquie devant un choix de civilisation : soit le basculement définitif vers une forme de pouvoir à vie, un régime autoritaire inspiré de la Russie de Vladimir Poutine, ainsi que vers une alliance de plus en plus resserrée avec les empires chinois et russe ; soit le retour à la démocratie avec le rétablissement de l’État de droit et des libertés fondamentales, l’indépendance de la justice et des médias, la neutralité de l’enseignement, l’ouverture à l’Occident. À bien des égards, la Turquie de 2023 se trouve dans une situation comparable à celle de l’Allemagne de 1933.
Recep Tayyip Erdogan est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Il a dénaturé les institutions, corrompu l’État et instauré une terreur larvée, n’hésitant pas à emprisonner ses opposants ou les contraindre à l’exil, à purger la fonction publique et l’armée. Il a fait campagne en puisant largement dans les caisses d’un État exsangue, augmentant le traitement des fonctionnaires de 30 % et le salaire minimum de 200 % depuis décembre 2021, offrant le droit à une préretraite à plus de 2 millions de personnes. Il a instrumentalisé la politique étrangère en persécutant les Kurdes et les Arméniens pour faire diversion à ses échecs intérieurs.
Pourtant, pour la première fois depuis 2014, Recep Tayyip Erdogan peut être battu. Sa campagne est perturbée par son état de santé précaire, occulté pour entretenir le culte de la personnalité dont il fait l’objet. Il fait surtout face à une opposition structurée et déterminée, unie autour de Kemal Kiliçdaroglu, le « Gandhi turc » issu de la minorité alévie, homme intègre, économiste reconnu et personnalité respectée, qui dirige le parti kémaliste CHP. Kemal Kiliçdaroglu fait la course en tête et dispose d’une avance significative dans les sondages. Il devra cependant surmonter l’obstacle d’une loi électorale d’avril 2022 taillée sur mesure pour Recep Tayyip Erdogan et déjouer les risques de fraude. L’État AKP qui quadrille le pays et la société ne manquera notamment pas de manipuler le vote des 3,5 millions de personnes déplacées à la suite du tremblement de terre du 6 février.
L’espoir d’une victoire de Kemal Kiliçdaroglu et d’un sursaut démocratique reste réel. Il est entretenu par le bilan calamiteux de Recep Tayyip Erdogan.
La volonté du président Erdogan de favoriser la croissance à tout prix débouche sur une crise monétaire, financière et sociale d’une rare violence. L’inflation a été officiellement ramenée de 85 % à 50 %, mais dépasse en réalité 150 % par an. La paupérisation de la population galope, avec un chômage qui touche 23 % de la population active et une chute du revenu par tête de 12 600 à 7 500 dollars en dix ans. Le déficit de la balance courante (5 % du PIB) et la fuite des capitaux se sont emballés, provoquant l’effondrement de la livre qui a perdu plus de 70 % de sa valeur depuis un an, alors que la dette extérieure dépasse 460 milliards de dollars. La Turquie va donc droit au défaut financier, qu’elle n’a évité que par les prêts d’urgence qui lui ont été accordés par la Russie, l’Arabie saoudite et le Qatar pour voler au secours d’Erdogan.
Le séisme du 6 février, qui a provoqué plus de 50 000 morts, a fait la vérité sur l’inefficacité et la corruption de l’État AKP. La prise de contrôle de l’État par les religieux et sa corruption expliquent aussi la désorganisation totale des secours, qui ont abandonné les victimes et les réfugiés à eux-mêmes.
Enfin, Recep Tayyip Erdogan a utilisé la tentative manquée de coup d’État du 15 juillet 2016 pour liquider la démocratie et les institutions de l’État de droit.
Les 85 millions de Turcs sont soumis à l’arbitraire du reis et de son parti, qui ont suspendu les libertés publiques et établi leur mainmise sur l’économie, les médias et l’Université.
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