Le choix du président brésilien de se ranger derrière la Chine rappelle l’urgence pour les démocraties occidentales de se rapprocher du Sud.
La visite de Lula da Silva à Pékin devait marquer le retour du Brésil au premier plan de la scène internationale après les années d’isolement de la présidence de Jair Bolsonaro. Elle s’est transformée en nouveau triomphe diplomatique pour la Chine après le déplacement d’Emmanuel Macron. Outre la fragilisation de la démocratie brésilienne, elle a mis en lumière l’ambiguïté de la notion de Sud global, qui n’a pas de réalité géographique, économique ou politique, mais qui sert de levier à Xi Jinping pour former avec les émergents un front anti-occidental.
Au moment où les empires autoritaires engagent une grande confrontation avec les démocraties occidentales, Lula n’a pas inscrit le Brésil dans une logique de non-alignement ou de multi-alignement mais dans celle de pur alignement sur les positions du total-capitalisme chinois et de son allié russe. Et ce autour des quatre thèmes qui ont dominé son déplacement : le développement d’une dépendance économique et technologique vis-à-vis de Pékin, marquée par le basculement des échanges (152 milliards de dollars contre 89 milliards de dollars avec les États-Unis), par l’emprise de Huawei sur les réseaux de télécommunications 5G, par la signature de 20 accords de coopération allant de l’énergie à l’espace en passant par les infrastructures et par l’automobile ; la promotion du yuan comme alternative au dollar dans les paiements mondiaux et les réserves de change ; l’imputation exclusive de la responsabilité et des coûts du dérèglement climatique aux démocraties occidentales, alors que la Chine est de loin le premier pollueur de la planète ; l’adoption du narratif russe qui renvoie sur l’Occident l’origine de la guerre en Ukraine et sur les sanctions la raison des crises énergétiques et alimentaires, la critique des livraisons d’armes à Kiev et le soutien inconditionnel au pseudo-plan de paix chinois qui se réduit à la sanctuarisation des conquêtes russes.
Ordre post-occidental
Le choix de Lula da Silva de se ranger derrière la Chine éclaire la stratégie poursuivie par Pékin. Elle s’adosse à la montée en puissance du commerce Sud-Sud pour remettre en question les instruments du soft power des États-Unis : le dollar, à travers l’affirmation du yuan sur le marché de l’énergie et des cryptomonnaies – limité cependant par la non-convertibilité de la monnaie chinoise ; les règles du commerce mondial et de la finance, à travers les nouvelles routes de la soie et le contournement des institutions de Bretton Woods par la Nouvelle Banque de développement, dont la présidence a été opportunément dévolue à Dilma Roussef ; l’extraterritorialité du droit américain à travers le contournement des sanctions visant la Russie. Une stratégie qui lie la conquête du leadership mondial à la construction d’un ordre post-occidental fondé sur des zones d’influence impériales et le rejet de toute forme de valeurs universelles. La Chine cherche à mettre au service de son projet impérial les pays émergents au nom du ressentiment envers le passé colonial, déployant une diplomatie mondiale qui s’est illustrée avec la médiation entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
L’appui inconditionnel apporté par Lula aux positions chinoises et à la propagande russe n’a pas manqué de choquer aux États-Unis et en Europe, où ses déclarations ont dominé le sommet avec le Portugal. La déception suscitée par Lula est à la hauteur de l’appui que les démocraties occidentales lui ont apporté dans sa campagne face à Jair Bolsonaro puis lors de la prise d’assaut du palais présidentiel, du Parlement et de la Cour suprême, le 8 janvier 2023. La défense de la démocratie au Brésil est en effet incompatible avec le soutien des empires autoritaires et de l’alliance conclue entre Pékin et Moscou, qui n’entend pas seulement supplanter l’Occident mais éradiquer la liberté politique. Par ailleurs, ce grand écart ne peut que renforcer l’inquiétude des investisseurs envers Brasilia alors que le manque d’infrastructures bloque le développement et que la dette publique atteint 73 % du PIB.
L’Ouest ne peut pas perdre le Sud
La Chine poursuit de son côté avec succès le déploiement de sa diplomatie vers le Sud qui vise à encercler l’Occident. Outre son influence grandissante dans le Pacifique, elle progresse en Asie centrale ; elle effectue une spectaculaire percée au Moyen-Orient, où elle s’affirme comme le partenaire privilégié de l’Arabie saoudite, de l’Iran et des Émirats arabes unis ; elle domine en Afrique, où elle dispose de nombreux points d’appui ; elle est de plus en plus présente en Amérique latine où elle bénéficie du recul des États-Unis. Pour autant, le modèle chinois et l’expansion de la Chine rencontrent de plus en plus de résistance, y compris face aux nouvelles routes de la soie qui enferment les pays dans la dépendance à la dette et les contraignent à céder des actifs essentiels à vil prix, jusqu’à les jeter dans le chaos, à l’exemple du Sri Lanka. Tôt ou tard, le voile du grand mensonge de la Chine et de la Russie, qui consiste à justifier l’impérialisme et le colonialisme au XXIe siècle par leur dénonciation au XIXe siècle, se dissipera.