La tourmente financière ne trouve pas son origine dans le défaut de crédits douteux, comme en 2008.
Quinze ans après la faillite de Lehman Brothers, la faillite de Silicon Valley Bank (SVB), seizième banque des États-Unis et financeur privilégié de la moitié des start-up américaines, fait trembler les marchés financiers et ranime le spectre du krach de 2008. Si SVB est une banque de taille limitée, avec 212 milliards de dollars d’actifs, le choc est mondial.
La faillite de SVB, le 10 mars, après le plus violent « bank run » de l’histoire qui vit ses clients tenter de retirer 42 milliards de dépôts en un jour, a déstabilisé les banques régionales américaines, provoquant la défaillance de Silvergate et de Signature, spécialisée dans les cryptomonnaies, puis la plongée de First Republic. Simultanément, la secousse a gagné l’Europe, entraînant la chute de Credit Suisse, lâchée par son principal actionnaire, Saudi National Bank, puis contaminant l’ensemble des banques et des assurances du continent.
Tirant les leçons de 2008, les autorités et les banques centrales sont intervenues très rapidement et puissamment.
Aux États-Unis, la FDIC a intégralement garanti les dépôts des clients de SVB au-delà du plafond de 250 000 dollars, tandis que la Fed assurait la liquidité des banques en ouvrant un guichet d’urgence. La Banque nationale de Suisse a prêté 50 milliards de francs suisses à Credit Suisse. Pour autant, la crise de confiance est très loin d’être enrayée.
La tourmente financière ne trouve pas son origine dans le défaut de crédits douteux, comme en 2008. Elle s’explique par les défaillances persistantes de la régulation financière aux États-Unis concernant les risques de taux et de liquidité des banques régionales, aggravée par l’assouplissement du Dodd-Frank Act en 2018. Mais sa raison première se trouve dans la montée brutale des taux d’intérêt décidée par les banques centrales pour lutter contre l’inflation qu’elles ont laissé s’installer.
La singularité de cette crise réside dans l’opposition frontale entre les deux missions des banques centrales : la stabilité monétaire, qui oblige à éradiquer la hausse des prix ; la stabilité financière, qui impose d’éviter un effondrement du système financier conduisant à une dépression mondiale comme dans les années 1930.
Face à l’ampleur de la vague d’inflation, les banques centrales ont ainsi déclenché en 2022 la plus brutale augmentation des taux d’intérêt depuis le début des années 1980. Trompées par la résistance de l’activité et de l’emploi, elles ont sous-estimé le risque de krach lié au surendettement des États, des entreprises et des ménages.
Les banques, afin de conforter leur liquidité, vont ralentir leur financement de l’économie, notamment aux États-Unis, où les banques régionales, qui subissent la fuite de leurs dépôts, génèrent 50 % des prêts commerciaux, 45 % des crédits à la consommation et 60 % des prêts immobiliers.
Ceci amputera la croissance d’au moins 0,3 % pour la ramener à 1,2 % aux États-Unis et 0,7 % dans la zone euro.
La généralisation de l’incertitude et l’explosion de la volatilité dissuaderont aussi les investissements.
Dans le même temps, les banques centrales n’auront d’autre choix que de ralentir, voire d’interrompre la hausse des taux d’intérêt, quitte à accepter durablement une inflation supérieure à leur objectif de 2 %. Déjà les anticipations du pic des taux ont été abaissées de 5,75 % à 4,85 % aux États-Unis et de 4 % à 3,3 % dans la zone euro.
La BCE a certes augmenté ses taux de 50 points de base le 16 mars, mais affiche désormais une très grande prudence sur la poursuite du mouvement.
Ce nouveau choc nous livre par ailleurs nombre d’enseignements. Dans le domaine de la régulation bancaire, l’interconnexion des marchés fait que tous les établissements, quelle que soit leur taille, sont systémiques et doivent être régulés de la même manière. Par ailleurs, tant pour des raisons économiques que politiques, les dépôts sont de facto intégralement garantis. D’où l’indispensable réflexion sur le statut des banques : entreprises privées gérant un bien public, elles ne peuvent pas faire faillite et sont réassurées par les gouvernements et les banques centrales, ce qui implique des contreparties en termes de gouvernance, d’investissements et de rémunérations.
L’irresponsabilité des libertariens de Californie plaidant pour la suppression de l’État avant de l’appeler à la rescousse pour garantir leurs dépôts contraste avec le sens du bien commun de J. P. Morgan, qui endigua la crise de liquidité de 1907 en organisant avec John D. Rockefeller le refinancement des établissements de crédit puis inspira la création de la Fed, en 1913.
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