La constitution d’une alliance entre la Chine et la Russie, appuyée par l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela, constitue la configuration la plus dangereuse pour les démocraties.
Un an après le déclenchement de « l’opération militaire spéciale » par Vladimir Poutine, le 24 février 2022, la guerre d’Ukraine a transformé le monde. Elle a mis fin à l’après-guerre froide et ouvert une ère où la paix est impossible et la guerre omniprésente.
Par Ukraine interposée, ce sont bien la Russie et les États-Unis, soutenus par leurs alliés respectifs, qui s’affrontent. Joe Biden, lors de ses déplacements en Ukraine et en Pologne, a repositionné les États-Unis en tant que leader des démocraties. À Kiev, devant le monastère Saint-Michel, il a réaffirmé l’engagement inconditionnel de l’Amérique aux côtés de l’Ukraine, portant son aide militaire à 44 milliards de dollars.
De vives tensions
À Varsovie, devant les neuf anciennes démocraties populaires asservies par l’Union soviétique, il a rappelé le « serment sacré » de l’article 5 de l’Otan qui fonde la défense collective de l’Europe et s’est félicité de l’élargissement de l’Alliance à la Suède et à la Finlande. Dans son discours sur l’état de la nation prononcé le 21 février, Vladimir Poutine lui a répondu en imputant à l’Occident la responsabilité de la guerre, en suspendant, sur fond de test du missile intercontinental Sarmat, la participation de la Russie à l’accord New Start – dernier traité de contrôle des armements en vigueur qui limite les ogives déployées à 1 550 – et vanté la solidité d’un modèle de développement indépendant.
Les tensions ne sont pas moins vives entre les États-Unis et la Chine. Dans son discours sur l’état de l’Union du 7 février, Joe Biden a pointé Pékin comme menace stratégique et martelé sa volonté de défendre la souveraineté des États-Unis, avec pour illustrations l’embargo sur les exportations de semi-conducteurs et l’interception du ballon espion chinois. Puis, lors de la conférence sur la sécurité de Munich, Antony Blinken a menacé la Chine de sanctions si elle livrait des armes à la Russie – notamment des drones. Ces sanctions viseraient tant des entités et des dirigeants que des secteurs d’activité. L’avertissement a été relayé et repris à son compte par Josep Borrell, chef de la diplomatie des Vingt-Sept, au nom de l’Union européenne – dont on a au reste constaté à propos de l’Iran qu’elle n’avait d’autre choix que d’appliquer les mesures américaines même quand elle les désapprouve.
La guerre d’Ukraine a réveillé et réaligné les démocraties. Les États-Unis, grands gagnants de la nouvelle donne au plan économique comme au plan stratégique, se sont réengagés en Europe. Pour un coût limité, ils entendent laminer la Russie, victime de sa démesure et prisonnière des mensonges de Vladimir Poutine, et adresser un signal fort à la Chine sur la vitalité de l’Occident et le prix à payer pour une attaque de Taïwan. L’Otan renaît de ses cendres autour de la sécurité collective et de la défense de l’avant contre la Russie, faisant basculer le centre de gravité de l’Europe à l’est et au nord. Les démocraties d’Europe et d’Asie – Allemagne et Japon en tête – réarment massivement sous le parapluie nucléaire américain.
Du côté des empires autoritaires, le partenariat stratégique entre la Chine et la Russie tend de plus en plus à se transformer en alliance militaire. Le rapprochement fut initié dès 1994, renforcé en 2001 par un traité, transformé en « amitié sans limite » par l’accord du 4 février 2022. La visite de Wang Yi à Moscou, qui prépare celle de Xi Jinping, constitue un pas de plus vers la constitution d’un axe y compris militaire, qui délégitime le pseudo-plan de paix chinois pour l’Ukraine.
La constitution d’une alliance entre la Chine et la Russie, appuyée par l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela, constitue la configuration la plus dangereuse pour les démocraties. Et ce d’autant que les empires autoritaires bénéficient de l’appui tacite du Sud global en raison du ressentiment contre le passé colonial. Leur stratégie est limpide : renforcement de l’idéologie et de la terreur à l’intérieur ; recours désinhibé à la force armée et à la guerre hybride pour briser la résistance et diviser les sociétés libres ; encerclement des démocraties par le Sud en les coupant des ressources stratégiques – à l’image de la sortie de l’expulsion de la France d’Afrique par la Russie - ; construction d’un monde post-occidental détaché du dollar, des places financières, des institutions et du droit international.
Les blocs sont de retour et avec eux la priorité à la résilience des chaînes de valeur, la maîtrise des ressources et des technologies stratégiques, le protectionnisme et le contrôle des capitaux, l’inflation et la hausse des taux, le tout à l’ombre portée de la guerre. Nations, individus mais aussi entreprises, chacun va devoir choisir son camp.
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