Au fondement de la débâcle en France et en Europe, on trouve les quatre mêmes raisons.
La guerre en Ukraine télescope de plein fouet la transition écologique. D’un côté, l’année 2022 a été marquée par un niveau record des émissions mondiales de carbone (36,8 milliards de tonnes) et de la température de la planète, en hausse de 1,5 °C par rapport à 1850 – conduisant à une élévation de 4 °C pour 2100 – , ainsi que par la multiplication des catastrophes climatiques. De l’autre, la crise énergétique s’est traduite par une relance de la consommation d’énergies fossiles, avec une progression de 1,6 % du charbon et de 2,5 % du gaz et du pétrole. Les sanctions contre la Russie ont notamment provoqué une accélération de la production de gaz, qui devrait augmenter de 0,6 % par an d’ici à 2030, mobilisant plus de 50 milliards de dollars d’investissements par an.
Simultanément, les subventions pour la demande de fossiles ont doublé pour dépasser 1 000 milliards de dollars. En bref, le conflit est devenu frontal entre sécurité climatique et sécurité énergétique et il a brutalement basculé en faveur de la seconde.
Pour l’Union européenne, le réveil est aussi violent et dévastateur sur le plan écologique que sur le plan géopolitique. La stratégie de transition vers une économie verte se révèle tout aussi condamnée que le pari effectué sur le commerce, la complaisance envers les dictateurs et la corruption des oligarques pour acheter la paix.
L’échec est total. Écologique, avec la remontée des émissions de 8 % liée au recours accru au charbon dans la production électrique pour répondre à l’arrêt des livraisons de gaz russe, alors que l’Europe est le continent où le réchauffement est le plus rapide.
Économique, avec l’annihilation des gains de productivité, la délocalisation des industries vertes vers les États-Unis, l’effondrement de 12 % de la production agricole et agroalimentaire. Financier, avec la mobilisation de 350 milliards d’euros de subventions à la consommation de fossiles en 2022. Social et politique avec la paupérisation des plus vulnérables et des classes moyennes qui alimente le populisme. Stratégique, avec la dépendance persistante envers les biens essentiels venus de Chine et la dépendance redoublée envers les États-Unis pour l’agriculture, l’armement, la technologie et désormais l’énergie, avec la substitution du gaz de schiste américain aux hydrocarbures russes.
La France a amplifié les erreurs de l’Union européenne. Elle a planifié la diminution de la production électrique pour justifier le démantèlement de la filière nucléaire qui constituait l’un de ses pôles d’excellence et un atout décisif pour la décarbonation de l’économie comme pour sa compétitivité. Elle a ruiné son industrie, ce qui débouche sur un déficit commercial record de 7 % du PIB, et son autonomie alimentaire puisqu’elle importe désormais 20 % de sa consommation. Elle a programmé une catastrophe sociale avec la pénurie de logements (chute de 25 % des réservations de logements neufs et de 31 % des ventes de maisons) et l’explosion de leur prix. Elle bloque la mobilité, vitale au XXIe siècle, du fait de la répression réglementaire et fiscale de la voiture et des déficiences chroniques des transports en commun. Avec pour résultat la prolétarisation des Français, dont la richesse par tête est inférieure de 9 % à la moyenne des pays développés et de 15 % à celle des Allemands.
Au fondement de la débâcle de la transition écologique en France et en Europe, on trouve les quatre mêmes raisons : une logique malthusienne de décroissance qui repose sur la baisse de la production et de la consommation ; la méconnaissance de l’objectif central que constitue la décarbonation ; l’adoption de mesures et de calendriers très ambitieux sans évaluation de leur impact économique et social ni étude des moyens de les réaliser ; le recours obsessionnel à la réglementation et à la fiscalité.
L’échec européen contraste avec les succès obtenus par la Chine et les États-Unis. La Chine a conquis le leadership des modules solaires (72 % de part de marché), de l’éolien (45 %), du véhicule électrique et des batteries au lithium (65 %) en misant sur l’innovation et en transformant ses infrastructures.
Les États-Unis ont entrepris de combler leur retard en investissant, via l’IRA, 370 milliards de dollars dans la recherche sur la captation du carbone, les renouvelables, l’hydrogène et les industries vertes. Les deux géants qui rivalisent pour la domination du XXIe siècle ont désormais en commun de faire de la transition écologique une priorité, de l’associer pleinement à l’impératif de sécurité, de l’intégrer dans une stratégie de développement et non de gestion de la pénurie.
Le choc majeur que constitue la guerre d’Ukraine pour la France et pour l’Europe les oblige à réviser leur stratégie de transition écologique. Elle doit tout d’abord être réconciliée avec la sécurité et de la souveraineté. L’objectif n’est pas la baisse de la croissance mais la décarbonation de l’économie, ce qui conduit à donner toute sa place au nucléaire ou à investir massivement dans la captation du carbone. La priorité ne va pas à la baisse de la consommation mais à l’innovation, à la modernisation des infrastructures, à la relocalisation et à la décarbonation de la production.
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