Au seuil de ses ambitions nucléaires, l’Iran doit faire face à la colère de sa population : la menace d’un effondrement intérieur est réelle.
Quarante-quatre ans après la révolution qui emporta le chah, la République islamique d’Iran a non seulement résisté à la terrible guerre de huit ans contre l’Irak et aux sanctions occidentales mais elle a aussi construit un empire chiite qu’elle est sur le point de sanctuariser en se dotant de l’arme nucléaire. Le régime des mollahs est cependant de plus en plus fragilisé par la révolte des Iraniens comme par son impopularité croissante dans les pays placés sous tutelle, notamment en Irak et au Liban. À l’image de l’Union soviétique, il est moins menacé d’une défaite militaire que d’un effondrement intérieur.
La République islamique n’a réussi à exporter ni sa révolution ni son modèle théocratique, aujourd’hui perçus comme des repoussoirs, mais elle est devenue une puissance clé du Moyen-Orient, à la faveur des errements de la stratégie des États-Unis. L’invasion et la destruction de l’Irak baasiste en 2003 puis le retrait désordonné qui a favorisé l’émergence de l’État islamique ont permis, à travers les interventions militaires des gardiens de la Révolution et des milices qui leur sont liées, l’arrivée d’un vaste « chiistan » qui s’étend du Liban et de Gaza à l’Afghanistan en passant par la Syrie, l’Irak ou le Yémen.
Téhéran a entrepris de garantir la pérennité de la République islamique et de son empire par son programme nucléaire et balistique, tout en brisant son isolement international grâce au rapprochement avec la Chine et la Russie. La détermination des mollahs est renforcée par l’invasion de l’Ukraine, qui a souligné tant l’impunité de l’agression russe, conduite sous la protection du parapluie nucléaire, que la vulnérabilité de l’Ukraine après l’abandon des armes ato-miques stationnées sur son sol en vertu du mémorandum de Budapest de 1994.
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a ainsi identifié de l’uranium enrichi à 84 % sur le site longtemps clandestin de Fordo, alors que le taux pour fabriquer une bombe est de 90 % et que le plafond retenu par l’accord JC-PoA de 2015 était de 3,67 %. Sous l’apparente reprise de la coopération avec l’AIEA pointe le fait que l’Iran est désormais un pays du seuil, qui dispose de la capacité à produire plusieurs bombes atomiques sinon de la technologie pour miniaturiser les têtes et les monter sur un missile.
Simultanément, l’Iran assume sa rupture avec l’Occident, y compris en multipliant les prises d’otages, et se lie avec la Russie et la Chine en vertu de sa doctrine du « regard vers l’Est ». Des plans de coopération ont été établis avec la Chine, à qui l’Iran fournit plus de 11 % de sa consommation d’hydrocarbures, qui vont de pair avec le développement de systèmes de paiement autonomes dans le cadre de la stratégie de dédollarisation. L’Iran a fourni d’importantes quantités de drones à la Russie et envisage de lui livrer des missiles, ce qui lui a valu une nouvelle salve de sanctions. Simultanément, la Chine a servi de médiateur pour la réconciliation avec l’Arabie saoudite.
La course de la République islamique à l’atome représente une menace existentielle pour Israël et crée un risque … … de conflit armé majeur. Elle s’accompagne d’une rupture avec les Iraniens. Le meurtre de Mahsa Amini, arrêtée en septembre dernier pour non-respect du port du voile islamique, a entraîné un vaste mouvement de protestation autour du mot d’ordre « Femmes, vie, liberté ». Sa répression sauvage, marquée par plus d’un millier de morts et des exécutions pour « corruption sur terre » et « inimitié à l’égard de Dieu », a fait basculer la population dans une opposition frontale au régime dont elle veut la disparition.
L’escalade de la terreur s’est brutalement accélérée avec l’empoisonnement de plus de 900 jeunes filles iraniennes, à la suite d’attaques au gaz contre des écoles à Qom puis à Téhéran, à Ispahan, à Kermanchah, à Ardabil. L’objectif consiste à dissuader les familles de scolariser les filles et de punir les femmes pour leur soulèvement. L’effet est dévastateur dans un pays dont le taux d’alphabétisation est de 95 % et où les étudiantes sont majoritaires dans l’enseignement supérieur.
Dans le même temps, la crise économique sort de tout contrôle. L’inflation dépasse 60 % et le rial a de nouveau perdu le tiers de sa valeur depuis le début de l’année ; le chômage touche plus d’un jeune sur cinq et 70 % des 87 millions d’Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. Les plus déshérités rejoignent ainsi les classes moyennes urbaines et connectées ainsi que la jeunesse et les élites dans la dénonciation et l’exécration du régime.
La République islamique dispose de moins en moins des moyens de ses ambitions impériales et nucléaires. Elle reposait sur la foi dans le chiisme et sur la terreur. La première s’est éteinte, notamment au profit de la résurgence des traditions zoroastriennes. La seconde se perpétue, avec le durcissement du régime en une dictature adossée aux 190 000 gardiens de la Révolution et aux 350 000 miliciens bassidjis. Mais la peur n’est plus insurmontable. …
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