Pour reconstituer un appareil productif performant, tout doit être repensé du point de vue de la production, de l’investissement et de l’innovation et non pas de la consommation.
La balance commerciale de la France a enregistré en 2022 un déficit historique de 164 milliards d’euros, soit près de 7 % du PIB. Il est en progression de 93 % par rapport à 2021, où le déficit s’est établi à 85 milliards d’euros. La balance des services présente un excédent de 50 milliards d’euros grâce aux excellentes performances du tourisme, du fret maritime et des services financiers, qui ne permet cependant pas de rééquilibrer les échanges de notre pays.
La première raison de la descente en vrille de la balance commerciale en 2022 réside dans le choc sur l’énergie, dont la facture est passée de 45 à 115 milliards d’euros, en raison de l’explosion des prix et des importations d’électricité. L’énergie n’explique toutefois que 40 % de la chute intervenue depuis l’avant-Covid. Sur moyenne période, le premier facteur de dégradation est à chercher dans le recul des exportations et des parts de marché mondiales de la France, qui sont tombées de 5,5 % à 2,5 % depuis le début du XXIe siècle.
Ce décrochage s’enracine dans les pertes de compétitivité de notre appareil de production et dans la désindustrialisation : en vingt ans, l’industrie manufacturière a détruit 2 millions d’emplois et vu sa part dans le PIB revenir de 18 % à 9 %, alors qu’elle atteint 21 % en Allemagne. L’industrie française ne compte plus aujourd’hui que trois filières d’excellence : le luxe, l’aéronautique et l’armement.
Décroissance à crédit
La descente aux enfers du commerce extérieur combinée à un déficit public compris entre 5 % et 6 % du PIB constitue un péril majeur pour la France. Elle fonce droit dans le mur de la dette, dont le montant dépasse désormais 3000 milliards d’euros et dont la charge a augmenté de 33 % en 2022 pour atteindre 51,5 milliards. La panique financière qui a gagné le Royaume-Uni à la suite du projet de minibudget absurde présenté par Liz Truss démontre la réalité du risque.
Sous l’explosion du déficit extérieur pointe le caractère insoutenable du modèle français de décroissance à crédit, dans lequel la consommation évince la production et la dette publique éradique les activités marchandes. Les gains de productivité sont nuls du fait du blocage du progrès technique et de la baisse du niveau de qualification de la main-d’œuvre, qui générèrent la moitié de la croissance des Trente Glorieuses. Du fait de la chute de l’investissement et des exportations, la croissance n’est plus tirée que par la consommation alimentée par les transferts sociaux (34 % du PIB) et financée par la dette publique (112,5 % du PIB). Elle dépend entièrement de la confiance des marchés, elle-même indissociable du pari dans la solidarité de fait au sein de la zone euro.
Il est bien vrai que notre pays est loin d’être le seul à se trouver confronté à une remise en cause majeure. Le mercantilisme allemand construit sur l’énergie russe bon marché, les exportations vers la Chine et les Brics, la dépendance à la technologie et à la garantie de sécurité des États-Unis, est fracassé par la guerre en Ukraine, les nouvelles guerres froides et la fragmentation de la mondialisation. Le rêve de Global Britain vanté par le Brexit se révèle n’être qu’une grande illusion. Le dualisme italien adossé à la vitalité des PME du Nord et à l’économie parallèle est en voie d’épuisement sous l’effet du déclin de la démographie, du blocage des gains de productivité lié à la faiblesse de l’innovation, de la faiblesse de l’État.
Nations qui s’abandonnent
La situation de la France reste cependant unique par le déni entretenu sur la situation réelle de l’économie comme par le renoncement à toute tentative de la réformer. Tout se passe comme si l’ensemble des dirigeants français avait accepté l’idée que la modernisation du pays était impossible autrement que par un violent choc financier, qui implique une crise politique et sociale majeure.
Au lieu de célébrer la prétendue résilience de l’économie française, qui se résume à la distribution sans fin de chèques sans provision, l’urgence commande, comme en 1945, de reconstituer un appareil de production performant, qu’il s’agisse de l’industrie, de l’agriculture ou des services. Tout doit être repensé du point de vue de la production, de l’investissement et de l’innovation et non pas de la consommation. Le travail, avec la réorganisation complète du système éducatif en pleine déconfiture.
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