Le président a restauré la puissance et la crédibilité des États-Unis à l’international. Reste toutefois à réunifier l’Amérique.
Joe Biden a célébré, dans son discours sur l’état de l’Union du 8 février, la puissance retrouvée de l’Amérique. Il entend ainsi ouvrir la voie à sa candidature pour un second mandat, en conjurant les doutes sur son âge – 80 ans –, sa faible popularité – 44 % d’approbation – et ses débuts inquiétants, surplombés par la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 et dominés par l’emballement de l’inflation, la déroute en Afghanistan en août 2021 puis le psychodrame de la création de l’Aukus qui sema la zizanie au sein des alliés. Force est de constater que l’invasion de l’Ukraine a tout changé. Elle fait des États-Unis les grands gagnants de la nouvelle donne caractérisée par la confrontation entre démocraties et régimes autoritaires ainsi que par l’éclatement de la mondialisation. Face à la multiplication des chocs – pandémie de Covid, guerre en Ukraine, montée des tensions avec la Chine, dérèglement climatique –, Joe Biden a su définir et mettre en œuvre des réponses efficaces, sonnant le réveil de l’Amérique.
Alors que l’Europe est tétanisée par l’agression russe qui acte la fin de ses illusions dans la paix perpétuelle et témoigne de sa vulnérabilité, les États-Unis ont déployé une stratégie cohérente et avisée. Les aides financière et militaire (25 milliards de dollars) à Kiev ainsi que le soutien de l’armée ukrainienne sur le plan du renseignement ont permis de mettre en échec la tentative de Blitz de Vladimir Poutine puis de placer Moscou dans une impasse, militaire et politique, tout en maîtrisant les risques d’escalade. Quelle que soit son issue, la Russie sortira très affaiblie du conflit. Un signal de prudence est aussi adressé à la Chine, renforcé par la fermeté affichée sur la défense de Taïwan et par des prises de décision, comme lors de la destruction des ballons espions.
La garantie de sécurité des États-Unis se trouve réévaluée et leurs alliances confortées en Europe comme en Asie. Le Japon et l’Allemagne réarment sous parapluie nucléaire américain. L’Otan renaît de ses cendres et s’élargit à la Suède et à la Finlande. Les démocraties asiatiques se réalignent derrière Washington. Face aux empires autoritaires et au partenariat noué entre la Chine et la Russie, les États-Unis, adossés à un budget militaire de 858 milliards de dollars, redeviennent le leader naturel et l’arsenal des nations libres. Il n’est pas jusqu’à l’Inde de Narendra Modi et au Brésil de Lula qui ne se rapprochent d’eux pour contrer le péril lié à l’expansionnisme de la Chine ou au populisme.
Le rétablissement de l’économie américaine est tout aussi spectaculaire. À court terme, le risque de récession a été écarté et la croissance s’élèvera à 1,5 % en 2023 ; l’inflation est revenue autour de 7 % et devrait reculer jusqu’à 3,5 % d’ici à la fin de l’année ; le plein-emploi résiste avec un taux de chômage limité à 3,4 % et la création de 12 millions d’emplois depuis le début de 2021. À moyen terme, l’Amérique profitera pleinement de la demande adressée aux secteurs clés de l’énergie, de la technologie, de l’armement et de l’agriculture, tandis que la compétitivité de ses entreprises est renforcée par les 370 milliards de dollars d’aides de l’Inflation Reduction Act qui s’ajoutent aux 1 200 milliards de la loi sur les infrastructures et aux 53 milliards du plan pour les semi-conducteurs.
Les États-Unis disposent désormais d’une chance réelle de préserver leur leadership économique et technologique à l’horizon 2050. Grâce à une démographie en expansion et à des gains de productivité portés par l’investissement de 3,2 % du PIB dans la recherche, la croissance potentielle pourrait s’élever à 2,7 % dans les prochaines décennies. À l’inverse, elle chuterait en dessous de 2 % en Chine en raison du déclin et du vieillissement… … de la population, de la montée de coûts du travail et du blocage de l’innovation lié à la reprise en main idéologique des entreprises. Et elle serait nulle en Europe du fait de la chute de la population, de la désindustrialisation, de la crise de l’énergie et de la faiblesse de l’effort de recherche (2% du PIB).
Le redressement des États-Unis demeure toutefois très fragile en raison de la crise intérieure qui divise la société et menace la démocratie. La fracture de la nation est illustrée par la baisse de l’espérance de vie (76,1 ans, contre 77 en Chine) et l’explosion de la violence. Elles s’enracinent dans la montée en flèche des inégalités (les 1 % les plus riches concentrent 21 % des revenus et 31 % du patrimoine des ménages), qui renvoient à la structure oligopolistique des entreprises, notamment à l’absence de régulation des Gafam. Elles découlent aussi de la présence de quelque 400 millions d’armes à feu au sein de la population, qui sont à l’origine de plus de 45 000 morts par an. Joe Biden a restauré la puissance et la crédibilité des États-Unis mais n’a pas réunifié l’Amérique. Elle reste à la merci d’un retour en force du populisme.
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