Avec ses chèques sans provision et autres mesurettes de court terme, le gouvernement n’a fait qu’aggraver la crise. Une refonte structurelle s’impose.
L’inflation a atteint 6,2 % en février en France et est très loin d’avoir atteint son pic. Elle s’enracine et se diffuse dans tous les secteurs de l’économie. Après l’énergie, ce sont les prix de l’alimentation qui explosent, avec une hausse de plus de 10 %, actée par les négociations tarifaires annuelles entre distributeurs et industriels, qui s’ajoute à l’augmentation de 14,5 % enregistrée au cours de l’année écoulée. Surtout, une spirale se met en place entre les prix et les salaires, attendus en hausse de plus de 6 % en 2023. Le constat s’impose : contrairement aux certitudes affichées par le gouvernement et les marchés, l’inflation n’a rien de provisoire. Les prix vont continuer à augmenter et resteront à un niveau élevé, car elle a changé de nature. Elle a été déclenchée par le formidable coup d’accordéon de la pandémie de Covid-19, marquée par le blocage de la production puis une violente reprise sur fond de déversement massif de liquidités par les banques centrales. Puis la guerre en Ukraine a provoqué un choc énergétique majeur.
Entre-temps, l’inflation a muté : elle n’est plus exogène et importée ; elle est désormais générale et permanente. Elle découle en effet de facteurs structurels qui ne vont cesser de s’amplifier : le vieillissement démographique et la pénurie de travail qualifié ; l’éclatement de la mondialisation ; la transition écologique et l’évolution vers une économie de rareté ; les crises géopolitiques et le basculement dans un environnement de guerre économique.
L’inflation n’est pas un phénomène conjoncturel dont l’effacement ouvrira la voie à un retour à l’ère des prix et des taux d’intérêt bas qui a accompagné la mondialisation triomphante. Elle constitue l’un des fondements d’un nouveau cycle économique. Avec, pour conséquence, la diminution de la consommation sous l’effet de la baisse du pouvoir d’achat, notamment pour les plus pauvres et les classes moyennes, la réduction des marges des entreprises prises en tenaille entre la restriction des débouchés et la montée des coûts de production et des salaires, l’intensification de la compétition internationale pour l’accès aux ressources comme pour la conquête des marchés, la pression sur les États, les entreprises et les ménages surendettés en raison de la montée des taux d’intérêt.
L’installation à un niveau élevé (8,5 %) et la diffusion de l’inflation dans la zone euro ne laissent en effet d’autre choix à la BCE que de poursuivre sa stratégie de resserrement monétaire et de relèvement de ses taux directeurs, autour de 4 % à la fin de l’année. Et ce, jusqu’à la diminution significative des prix. Avec pour effet la diminution de l’activité et la progression du chômage, la fin de l’euphorie irrationnelle des marchés financiers, la montée des tensions sur la dette publique française, dont les taux sont passés de 0 à plus de 3,2 % en un an, entraînant une hausse de la charge de la dette de 1,4 à 2,2 % du PIB.
La France apparaît de fait particulièrement vulnérable à cette nouvelle donne, dans laquelle elle entre avec une compétitivité effondrée – en témoigne le déficit commercial record de 164 milliards d’euros, soit 7 % du PIB –, un chômage qui demeure important (7,2 % de la population active contre 3 % en Allemagne) et une dette publique qui s’élève à plus de 3 000 milliards d’euros. L’avantage conjoncturel que lui a fourni l’an dernier le niveau inférieur de l’inflation par rapport à celui de la zone euro (5,2 % contre 8,4 %) est en voie de disparition. Ainsi, en février, l’inflation sous-jacente s’est-elle élevée à 5,8 % en France contre 5,6 % dans la zone euro, en raison de hausses de salaire plus fortes que dans les pays européens à inflation plus élevée. … … L’erreur de la politique économique française apparaît ainsi en pleine lumière. Elle a consisté à subventionner les ménages à hauteur de près de 50 milliards d’euros pour atténuer l’impact de la hausse des prix à travers un feu d’artifice de boucliers et de chèques. L’objectif de cette stratégie de l’indice était, sur le plan économique, de soutenir la demande, seul moteur de la croissance, tout en contenant l’indexation des aides sociales, des rémunérations de la fonction publique et des emprunts publics, et, sur le plan politique, de prévenir la colère et les violences sociales.
Contrairement à l’Allemagne, qui s’est attaquée aux causes de l’inflation en dirigeant son plan de soutien de 8 % du PIB en priorité vers les entreprises, la France a fait le choix de traiter ses conséquences en misant sur le fait que l’envolée des prix était temporaire. Ce pari est perdu et se retourne aujourd’hui contre elle. L’inflation augmente, en raison de la sortie inévitable des boucliers tarifaires et de la distribution de chèques sans provision, alors qu’elle diminue dans la zone euro. Les entreprises, qui subissent de plein fouet la hausse des prix de l’énergie, des facteurs de production et des salaires, sont étranglées. Le signal prix envoyé par les ristournes et boucliers tarifaires freine l’ajustement des comportements et se trouve en contradiction frontale avec l’impératif de la transition écologique. Enfin, les finances publiques sont prises en étau entre l’addiction à la dépense, qui culmine à 57 % du PIB, et l’emballement de la charge de la dette.
La France est en passe de reproduire les errements de la décennie 1970 qui la virent s’enfermer dans le déni de la fin de la régulation keynésienne et reporter sur l’appareil productif tout le poids des chocs pétroliers. Mobiliser le budget de la nation afin de compenser la hausse des prix pour les ménages est à la fois inefficace et ruineux. Pour lutter contre l’inflation, il faut traiter ses causes structurelles en libérant la production, en augmentant la productivité, en dynamisant la concurrence, en reprenant le contrôle des finances publiques, en stabilisant la classe moyenne, en apportant une réponse de long terme à la montée des tensions internationales.
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