L’instauration d’un État-AKP est allée de pair avec la suspension de l’État de droit et l’installation d’un climat de guerre civile.
La Turquie s’apprête à célébrer les cent ans de la fondation de la République par Mustafa Kemal avec des élections présidentielles et législatives que Recep Tayyip Erdogan a avancées du 18 juin au 14 mai – date symbolique qui commémore la première défaite, le 14 mai 1950, du parti kémaliste. Ces élections sont décisives. Pour Recep Tayyip Erdogan qui, après vingt ans d’un pouvoir de plus en plus absolu, entend exercer un troisième mandat que la Constitution interdit. Pour la Turquie qui pourrait basculer vers un régime autoritaire mêlant, sur le modèle de la Russie de Vladimir Poutine, impérialisme et fondamentalisme, mensonge et terreur.
Le scrutin est surplombé par la suppression de la liberté d’expression à travers la criminalisation de la diffusion des « informations trompeuses », par la répression des opposants – illustrée par la condamnation à deux ans et demi de prison d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul pour « insulte » envers des hauts fonctionnaires de l’État – et par les risques de fraude massive au bénéfice de l’AKP. Il s’accompagne d’une exacerbation des passions nationalistes et religieuses comme de l’agressivité de la politique extérieure pour faire diversion aux difficultés intérieures.
Le choix de Recep Tayyip Erdogan de la croissance à tout prix a provoqué l’effondrement monétaire et financier du pays. La Turquie a certes échappé à la récession en 2020 et table sur une croissance de 5 % en 2022 et 3 % en 2023. Mais au prix d’une inflation qui s’élève officiellement à 85,5 % mais qui s’établit dans la réalité autour de 190 % par an. Le pouvoir d’achat de la population est laminé tandis que s’installe un chômage structurel qui touche 10 % des actifs et que la pauvreté a progressé de 12 % à près de 20 % de la population. Dans le même temps, le déficit de la balance courante (4,7 % du PIB) et la fuite massive des capitaux se sont emballés. La Turquie va donc droit vers un krach financier qu’elle ne diffère que par les prêts ponctuels qui lui sont accordés par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Russie.
Plus l’économie se dérobe et plus le régime se durcit. Recep Tayyip Erdogan a systématiquement liquidé l’héritage de Mustafa Kemal, avec pour symbole la transformation de Sainte-Sophie en mosquée incarnant la volonté de renouer avec « l’esprit de la conquête ». L’instauration d’un État-AKP est allée de pair avec la suspension de l’État de droit et l’installation d’un climat de guerre civile qui cible les Kurdes et les 4 millions de réfugiés syriens.
C’est avant tout sur sa figure d’homme fort que Recep Tayyip Erdogan entend fonder sa réélection, en cherchant à tirer les dividendes de ses interventions militaires ainsi que du rôle stratégique que lui offre la guerre d’Ukraine. La Turquie a multiplié les opérations au nord de la Syrie, en Libye et en Azerbaïdjan, tout en menaçant directement la Grèce et en avançant des revendications territoriales en Méditerranée orientale au mépris du droit international. Simultanément, Recep Tayyip Erdogan s’est positionné comme médiateur entre la Russie et l’Ukraine, remportant un succès majeur avec l’accord du 22 juillet 2022 sur la reprise des exportations de blé à partir d’Odessa.
La diplomatie d’Ankara, sous l’impulsion de Recep Tayyip Erdogan, illustre la stratégie du multi-alignement pratiquée par la plupart des grands pays émergents, en la poussant à l’extrême par des revirements permanents. La Turquie reste membre de l’Otan mais s’équipe en missiles S-400, n’applique pas les sanctions contre Moscou, se positionne en havre pour les oligarques russes, bloque l’adhésion de la Suède et de la Finlande, ce qui fait le jeu de Vladimir Poutine. Elle aide à la renaissance de l’État islamique en Syrie en massacrant les Kurdes. Elle cherche à se rapprocher de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, d’Israël et désormais du régime de Damas.
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