Les pansements distribués par Emmanuel Macron lors de ses vœux aux soignants ne suffiront pas. Une transformation profonde doit être opérée.
Après des décennies de crise endémique, le système de santé est en passe de rompre. L’accès aux soins est devenu difficile pour 51 % des Français, en raison des déserts médicaux et de spécialités sinistrées comme la psychiatrie, la gériatrie ou la gynécologie : 6 millions de Français sont aujourd’hui sans médecin traitant. Les soignants fuient massivement l’hôpital tandis que les médecins de ville, paupérisés et accablés par les tâches administratives, se désengagent, ce qui oblige à recruter des professionnels étrangers précarisés. Les hôpitaux n’ont d’autre choix que de réduire leur activité face au manque de personnel, fermant non plus des lits mais des services entiers. Le manque de médicaments croît, du paracétamol aux anticancéreux de dernière génération en passant par l’amoxicilline, sur fond de déliquescence de la recherche, illustrée par le fiasco du vaccin contre le Covid.
Cette débâcle est d’autant plus préoccupante que notre pays consacre 12,4 % du PIB à la santé et que le déficit de la branche maladie a atteint 17,8 milliards d’euros en 2022. Les mesures du Ségur – qui ont mobilisé 13 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, 6 milliards d’investissements et 13 milliards de désendettement – n’ont ainsi entraîné aucune amélioration pour les patients ou pour les soignants, faute de s’inscrire dans une réforme d’ensemble.
La désintégration du système de soins ne trouve pas son origine dans l’épidémie de Covid. Elle renvoie à des maux structurels qui découlent de plusieurs décennies d’errements. L’impasse a tout d’abord été faite sur l’augmentation de la population et son vieillissement ainsi que sur les progrès de la médecine, indissociables de la hausse de ses coûts. Au total, les dépenses augmentent spontanément de 4 % par an. Le système a dès lors été piloté par l’objectif du reste à charge zéro, qui l’a fait basculer dans une logique de rationnement et de baisse de la qualité des soins, marquée par l’instauration d’un carcan budgétaire pour les établissements, par la sous-tarification des actes, par la limitation des investissements, par la baisse autoritaire du prix des médicaments, qui a entraîné la délocalisation de la production et la dépendance aux importations venues de Chine et d’Inde.
Au fil des ans, l’offre de soins a été totalement désorganisée et déconnectée des besoins des Français, livrée à la bureaucratie mortifère de l’agence nationale de santé et des 18 ARS qui ont fait étalage de leur incompétence et de leur irresponsabilité durant l’épidémie de Covid. La médecine de ville, vitale pour les soins de première ligne, a été abandonnée, avec un régime anachronique de paiement à l’acte, le blocage du prix de la consultation à 25 euros (contre 70 euros en Allemagne) et la multiplication des tâches administratives. Aucune coordination n’existe avec l’hôpital, asphyxié par les urgences, qui ont dû se substituer à la médecine de ville (plus de 25 millions de passages par an), étouffé par la régulation budgétaire et par la bureaucratie (34 % du personnel est affecté à des tâches administratives), paralysé par l’application rigide de la loi des 35 heures. D’où l’exil des talents vers les cliniques mais aussi le transfert des activités rentables, comme l’imagerie, à des entreprises privées.
Force est de constater que la défiance des Français envers la capacité de leurs dirigeants à améliorer le système de santé est fondée, tant il est difficile de croire que ceux qui l’ont ruiné peuvent le sauver. Emmanuel Macron leur donne raison, qui a annoncé une myriade de mesures ponctuelles (certaines positives comme la sortie des 35 heures ou la revalorisation des gardes de nuit, d’autres absurdes comme la double commande des hôpitaux qui revient à marier le pire de l’étatisme et du corporatisme médical). Elles ne répondent en rien à la gravité de la crise et ne peuvent la résoudre. Le rétablissement du système de santé ne passe en effet pas seulement par des mesures d’urgence, mais par une profonde transformation, à l’égal de ce qu’ont entrepris l’Allemagne et les pays scandinaves, associant prévention, réorganisation et coordination de l’offre, modernisation des établissements et formation des soignants.
Six priorités se dégagent dès lors : le pilotage par la qualité des soins et non par la gratuité pour tous et pour tout ; un effort de prévention indissociable de l’ouverture des données, à rebours de leur confiscation par la Cnam afin d’occulter la dégradation de l’état de santé des Français et des performances du système de soins ; le recentrage de l’État sur la stratégie de santé publique, la planification et l’évaluation, avec la décentralisation aux régions de la gestion des établissements dont l’autonomie serait reconnue ; la reconfiguration de l’offre autour du parcours et des réseaux de soins ainsi que de la coordination entre ville et hôpital selon trois niveaux (premier recours par des médecins traitants rémunérés au forfait et non plus à l’acte, hôpitaux de court séjour de haute technicité, structures spécialisées dans le long séjour) ; un effort massif en faveur de l’attractivité des métiers du soin, en termes de rémunération comme de formation et de déroulement des carrières, alors qu’hôpitaux et Ehpad devront embaucher 700 000 soignants d’ici à 2030 ; enfin, une stratégie de relocalisation industrielle et de soutien à l’innovation, qui suppose de payer le médicament, à l’image de l’Allemagne, qui vient d’augmenter de 50 % ses prix d’acquisition.
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