Selon l’ONG britannique, la hausse des inégalités serait la cause unique des crises multiples que connaît le monde.
Avec l’inexorabilité d’une loi de la nature, l’ONG britannique Oxfam salue chaque année l’ouverture du Forum économique mondial de Davos par la publication de son rapport sur les inégalités, qui conclut à leur aggravation et à leurs conséquences catastrophiques. Avec l’obligation de frapper de plus en plus fort, quitte à ce que la surenchère des chiffres et le choc des formules s’émancipent des faits et de la raison.
Selon Oxfam, la hausse des inégalités serait la cause unique des crises multiples que connaît le monde. Depuis 2020, 1 % de la population aurait capté les deux tiers des nouvelles richesses, soit deux fois plus que les 99 % les plus pauvres, et la fortune des milliardaires augmenterait de 2,7 milliards de dollars par jour alors que les salaires de 1,7 milliard de personnes ne suivent pas le rythme de l’inflation. Les entreprises de l’alimentation et de l’énergie auraient plus que doublé leurs bénéfices et versé 257 milliards de dollars à leurs actionnaires, alors que 800 millions de personnes souffrent de la famine. Les riches seraient responsables de la montée de la pauvreté, du surendettement des États et du réchauffement climatique, qui résulterait de leur «mode de vie extravagant et de leurs investissements dans une économie dominée par les combustibles fossiles».
Dès lors, la solution aux maux qui accablent l’humanité serait d’abolir les milliardaires grâce à la fiscalité. Leur nombre devrait être divisé par deux d’ici à 2030 grâce à l’instauration d’un taux marginal de 75 % sur leurs revenus – y compris sur les plus-values non réalisées -, à la hausse des impôts fonciers et des impôts sur les successions, à l’imposition à 17,8 % du patrimoine net et à la création d’un impôt exceptionnel sur la fortune pour répondre aux crises énergétique et alimentaire. S’y ajouteraient le relèvement du taux d’impôt sur les sociétés et un prélèvement sur les bénéfices exceptionnels. Le tout permettrait de faire sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté.
Paradoxalement, les inégalités sont définies de manière étroite, en termes de revenus et de patrimoines, ignorant les dimensions de la santé ou de l’éducation qui sont prises en compte par les indicateurs du développement humain de l’ONU. Les informations sont très hétérogènes – mêlant classements de Forbes et statistiques des institutions multilatérales – et ne cessent de confondre les revenus avec les patrimoines, les actifs avec les dettes, les flux et les stocks. Les analyses sur la prétendue diminution de la fiscalité sont également tronquées car fondées sur les taux maxima de quelques impôts sélectionnés arbitrairement et non pas sur l’analyse de l’ensemble des prélèvements.
Selon Oxfam, «la répartition actuelle des riches dans le monde reflète directement la structure néocoloniale de l’économie mondiale», bénéficiant principalement à des «hommes blancs et riches dans les pays du Nord» : or les inégalités entre les pays se sont réduites de plus d’un tiers depuis le début du XXIe siècle et c’est dans le monde émergent que les nouveaux milliardaires sont les plus nombreux.
La conclusion selon laquelle «chaque milliardaire est un échec politique», ce qui conduit à faire de leur élimination l’objectif central de la stratégie économique, est dénuée de sens et très dangereuse. Les expériences historiques de liquidation des riches se sont toujours traduites par la paupérisation des masses, la destruction de l’environnement et la suppression des libertés, comme l’Union soviétique en a fait la démonstration au XXe siècle. L’appel d’Oxfam à euthanasier les riches fait écho à la célèbre préface de Jean-Paul Sartre aux Damnés de la terre de Frantz Fanon qui affirmait : «Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups : supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre.» Laisser croire que supprimer un milliardaire, c’est faire sortir des millions d’hommes de la pauvreté est faux. Cet appel à une guerre des classes constitue un contresens politique et moral au moment où le monde s’ensauvage. Enfin, au silence conservé sur la situation explosive des inégalités en Chine, en Russie ou en Iran répond le déchaînement des critiques visant les démocraties occidentales, contribuant à les affaiblir et à les diviser alors qu’elles sont la cible des tyrannies du XXIe siècle.
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