Il est plus que temps de cesser de creuser le trou de la dette publique, qui entretient le décrochage économique et la paupérisation de la population.
Le FMI, dans son rapport annuel publié le 21 novembre, estime que la France devrait échapper à la récession en 2023 avec une croissance de 0,7 %, tout en alertant sur la dégradation des finances publiques et en appelant à une réduction du déficit dès 2023.
L’avertissement lancé par le FMI mérite d’être entendu. Les finances publiques de la France sont en effet sorties de tout contrôle. La dette publique s’apprête à dépasser 3 000 milliards d’euros, soit 44 200 euros par Français, alors que le salaire annuel plafonne à 39 300 euros. Elle a progressé de près de 700 milliards d’euros depuis 2017, sous l’effet de deux slogans. Le « quoi qu’il en coûte », qui a fait de l’État le réassureur des revenus des ménages et du chiffre d’affaires des entreprises durant la pandémie, avant d’être étendu à la hausse des prix depuis 2021. Le « en même temps », qui se traduit par le refus d’effectuer des choix et de cibler les aides sur les ménages ou les secteurs les plus vulnérables.
La dette publique est devenue en France l’unique réponse de la politique économique face aux chocs qui se multiplient. Il est bien vrai que cette stratégie a débuté dans les années 1980. Mais son accélération récente est insoutenable. La France diverge de l’Allemagne et de la zone euro pour être reléguée au statut de pays du Sud, sous-compétitif et surendetté.
La préférence pour la dette publique – passée de 20 % du PIB en 1980 à 58 % en 2000, 85 % en 2010, 114,5 % en 2022 est désormais insoutenable. La pandémie de Covid puis la crise énergétique, alimentaire et financière provoquée par la guerre d’Ukraine débouchent en effet sur une nouvelle ère économique, placée sous le signe de l’inflation, de la montée des taux d’intérêt et d’une très forte instabilité. Et ce nouveau régime est durable, car il s’enracine dans des mouvements fondamentaux : le vieillissement démographique ; la démondialisation ; la montée de la conflictualité ; l’impératif de la transition climatique.
La stratégie française qui prétend inverser la logique de la politique économique en confiant à la politique budgétaire la lutte contre l’inflation et à la politique monétaire le soutien de la croissance et de l’emploi est vouée à l’échec. Elle ne peut qu’enfermer le pays dans la stagflation tout en le vouant à un choc financier majeur, comparable à celui subi par l’Italie en 2011. Avec des conséquences dévastatrices pour l’euro et l’Union. Longtemps jugé chimérique, ce risque est bien réel. En témoigne la panique financière qui a frappé le Royaume-Uni et emporté Liz Truss, à la suite de l’annonce d’un plan de 45 milliards de livres de baisses d’impôts non financées et orientées vers les plus riches. Le pari de la classe politique française sur la réassurance illimitée fournie par l’euro et la garantie implicite fournie par l’Allemagne relève de la grande illusion. En Italie, Giorgia Meloni l’a bien compris, qui, conseillée par Mario Draghi, a fait preuve d’une grande prudence dans l’élaboration du budget de 2023, contenant le déficit primaire et réservant les aides publiques aux familles et aux entreprises les plus fragiles.
La maîtrise de la dette publique, qui sert de variable d’ajustement à la démagogie politique, doit donc être érigée en priorité de premier rang pour le redressement de la France. Elle reste possible mais elle exige un tournant immédiat de notre politique économique.
Le niveau record des prélèvements obligatoires et des recettes publiques, qui culminent à 47 % et 53 % du PIB, exclut toute hausse des impôts et taxes, sauf à ruiner la croissance.
Seules deux solutions restent dès lors ouvertes. La première porte sur la dépense publique, qui doit diminuer tout en gagnant en efficacité. Les réformes indispensables de l’assurance-chômage, des retraites ou de la fonction publique ont vocation à s’inscrire dans une vaste reconfiguration de l’État associant recentrage sur les fonctions régaliennes et décentralisation. La seconde réside dans la croissance, qui suppose une transformation du modèle économique et social. Alors qu’il repose sur la consommation alimentée par des transferts sociaux financés par la dette, il doit être réorienté vers la production, l’investissement et l’innovation.
Le surendettement public ne s’affirme pas seulement comme un frein au développement économique et un facteur d’inégalités ; il constitue une arme de destruction massive de la capacité de l’État de réassurer les risques et de la souveraineté nationale. Au sortir d’une conférence, Keynes répondit à un participant qui lui demandait comment sortir du trou : « Eh bien, arrêtons tout d’abord de le creuser. » Il est plus que temps de cesser de creuser le trou de la dette publique, qui entretient le décrochage économique et la paupérisation de la population, mine l’influence de la France et programme un choc financier majeur qui achèvera de ruiner notre démocratie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 novembre 2022)