C’est le Sud qui porte désormais les chances d’une gestion concertée des risques planétaires. En témoignent le G20 et la COP27.
Le XXIe siècle est placé sous le signe de l’histoire universelle, que partagent les 8 milliards d’êtres humains qui peuplent désormais la planète. Tous sont interdépendants. Tous sont confrontés à la montée de risques systémiques qui résultent de la crise énergétique, des famines, des krachs financiers, des pandémies, du dérèglement climatique, de la propagation de la violence.
Ainsi, les tensions autour de Taïwan vont-elles de pair avec un affrontement économique de plus en plus frontal entre Pékin et Washington, la Chine cherchant à couper les États-Unis de l’accès aux terres rares indispensables à la transition climatique, tandis que les États-Unis organisent un embargo contre la Chine touchant les dernières générations de semi-conducteurs. L’Europe est, elle, la cible de deux guerres conduites par la Russie, la première en Ukraine, la seconde, hybride, sur tout le continent mêlant chantage nucléaire, pénurie d’énergie et inflation alimentaire, cyberattaques et désinformation, intervention dans les élections et soutien des partis populistes.
Le système mondial se fragmente en blocs opposés par leurs institutions, leurs cultures et leurs valeurs. À la confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties répond le ressentiment du Sud contre les pays du Nord, ancré dans les séquelles de la colonisation. Dans le même temps, les institutions et les règles mises en place pour gérer les crises et endiguer la violence sont paralysées ou démantelées, à l’image de l’ONU et de l’OMC, de la sortie ou de la violation des accords de limitation et de contrôle des armements.
Au moment où la montée des tensions géopolitiques prend le pas sur le développement économique et la gestion des risques planétaires, les conférences du G20 à Bali (Indonésie) et de la COP27 à Charm el-Cheikh (Égypte) présentaient donc une importance décisive. Elles constituaient un test pour la capacité des États à surmonter la logique de la conflictualité afin de stabiliser le système international et de répondre à la menace existentielle du réchauffement climatique. La dynamique de la fragmentation du monde et de l’extension de la violence est loin d’avoir été désarmée. Mais des progrès ont été enregistrés qui vont de pair avec le nouveau rôle du Sud global.
La conférence du G20 a débouché sur la condamnation de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de tout recours à l’arme nucléaire. Bali a surtout été le théâtre d’une longue rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping, au lendemain de la guerre technologique engagée par les États-Unis sur les semi-conducteurs et du XXe Congrès du PCC qui a acté, en même temps que le retour au pouvoir à vie et au culte de la personnalité, le primat donné à l’idéologie marxiste sur le développement économique et l’impératif de la sécurité nationale tendu vers l’annexion de Taïwan. Or leur entretien a été placé sous le signe d’une détente, ouvrant la voie à une reprise de la coopération entre Washington et Pékin, notamment dans le domaine de la transition climatique. Ces succès doivent beaucoup à la diplomatie du président indonésien, Joko Widodo, qui a fait prévaloir la position des pays du Sud, hostiles à toute nouvelle guerre froide et privilégiant la stabilité géopolitique indispensable au développement économique et à la transition climatique.
Au terme de négociations très tendues, les 196 États réunis au sein de la COP27 ont convergé vers un accord a minima. La nécessité de réduire rapidement les émissions afin de contenir le réchauffement à 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle a été rappelée. Mais rien n’est dit sur les moyens d’y parvenir pas plus que sur l’abandon du charbon ou la sortie progressive des carburants fossiles. Ceci est inquiétant alors que la hausse des températures atteint 1,2 degré, que les émissions de carbone se sont élevées en 2021 à 40,6 gigatonnes et que les catastrophes climatiques se multiplient.
Mais dans le même temps, l’UE a réévalué à 57 % la baisse de ses émissions d’ici à 2030 et Lula a annoncé l’arrêt de la déforestation de l’Amazonie. Un plan de 3,1 milliards de dollars a été acté pour mettre en place un système mondial d’alerte avancée des catastrophes climatiques. Surtout, une percée a été obtenue avec la création, bloquée depuis Rio en 1992, d’un fonds pour les pertes et dommages des pays les plus pauvres, très exposés au réchauffement climatique alors que leurs émissions sont minimes.
Le G20 et la COP27 montrent qu’un espace de discussion et de négociation reste ouvert face aux risques de récession mondiale, de pandémie ou de dérèglement irréversible du climat. Ils soulignent que la confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties n’a pas vocation à déboucher inéluctablement sur la guerre. Ils témoignent enfin de la montée en puissance et de l’influence croissante des géants émergents. Face aux nouvelles guerres froides entre l’Est et l’Ouest, c’est le Sud qui porte désormais largement les chances d’une gestion concertée des risques planétaires comme les espoirs d’une humanité qui a le choix entre la coopération ou la disparition.
(Article paru dans Le Point du 24 novembre 2022)