Avec la chute de Meta (Facebook), le rêve de Mark Zuckerberg en prend un coup. Pour autant, l’avenir de ce monde virtuel est loin d’être compromis.
Mark Zuckerberg, fondateur de Meta, la maison mère de Facebook, a annoncé le 9 novembre la suppression de 11 000 emplois, soit 13 % des effectifs du groupe ainsi qu’une forte réduction de ses emprises immobilières, pour répondre à la chute de 75 % du cours de l’action depuis le début de l’année. Ce plan d’économies est exemplaire du brutal retournement dans le secteur de la technologie, qui a détruit plus de 50 000 postes en 2022, mettant fin à l’euphorie provoquée par l’épidémie de Covid-19.
Il renvoie aussi aux interrogations croissantes sur l’avenir du métavers, que Mark Zuckerberg a placé au cœur de sa stratégie pour faire face à la concurrence de TikTok et à la protection des données personnelles des utilisateurs de smartphones, dans lequel il a décidé d’investir jusqu’à 15 milliards de dollars par an durant une décennie.
Le métavers est un service en ligne, où réalités physique et virtuelle se mêlent, donnant accès à des simulations d’espace en temps réel, dans lesquelles on peut partager des expériences immersives. En s’appuyant sur les 3 milliards de comptes de Facebook, Meta entend préempter et construire une position dominante dans ce nouvel espace de l’Internet immersif, présenté comme l’univers de tous les possibles et comme la clé de la future socialisation numérique.
Pourtant, un an après son lancement, le projet s’enlise, attirant moins de 200 000 utilisateurs réguliers par mois alors que plus de 500 000 étaient espérés. Ceci fait craindre un nouvel échec après celui de Second Life, qui connut un vif succès à partir de 2003 avant d’être emporté par le krach de 2008. La faiblesse de l’audience constitue, en effet, un repoussoir pour les investisseurs comme pour les annonceurs.
De nombreuses raisons expliquent ces difficultés. Tout d’abord, le métavers rencontre des obstacles technologiques liés à la puissance insuffisante des serveurs et des réseaux, au coût excessif des équipements, notamment les casques de réalité virtuelle, à la faible interopérabilité des plateformes, au caractère fruste des graphismes. Ensuite, il est aussi très consommateur d’électricité, ce qui en fait un désastre écologique. L’absence de régulation favorise la constitution de monopoles privés, entretient les peurs d’un capitalisme de surveillance et renforce les risques psychosociaux pour les utilisateurs créés par la confusion entre réalité physique et monde virtuel.
Par ailleurs, le développement du métavers est indissociable de celui des cryptomonnaies. Or le durcissement des politiques monétaires et la montée des taux ont entraîné un dégonflement de la bulle autour des monnaies digitales, illustré par la faillite de FTX, deuxième plateforme d’échange mondiale. Elles entraînent dans leur chute les NFT, actifs numériques dont les prix se sont effondrés de 95 % depuis le début de l’année.
Mais la première cause du désintérêt des internautes pour le métavers découle de la faiblesse de sa raison d’être, qui se limite à répliquer sous une forme dégradée la vie réelle dans un univers virtuel, sans objectif ou usage précis autre que la vente de publicité, notamment pour faciliter l’accès des marques de luxe aux jeunes générations. Et ce à l’opposé des services numériques qui permettent d’améliorer la vie quotidienne de leurs utilisateurs dans le monde réel.
Le métavers ne peut pour autant être réduit à l’échec de sa tentative de prise de contrôle par Meta ou au krach des cryptomonnaies. De la banqueroute de la Compagnie des Indes de John Law en 1720 au krach de l’Internet du début des années 2000, les secousses financières sont liées à la fièvre spéculative et non pas aux innovations technologiques, qui finissent par s’imposer dès lors qu’elles sont mises au service du développement économique et de la société.
Le métavers ne fera pas exception. Son succès ne cesse de se confirmer dans l’univers des jeux en ligne, développés par des éditeurs comme Epic Games ou Roblox. Mais il possède aussi des débouchés très prometteurs, par ses capacités de simulation, au profit de publics professionnels, notamment dans l’industrie, dans la santé et surtout dans l’éducation. Pour cela, il est important de ne pas renouveler les erreurs commises lors de la naissance de l’économie numérique, en la laissant devenir l’apanage de monopoles privés ou des États-Unis au moment où la fragmentation d’Internet accompagne celle de la mondialisation.
Les technologies de l’Internet immersif sont promises à un bel venir. Mais elles doivent être réorientées vers des usages professionnels et vers la connaissance. Les métavers doivent être divers, ouverts à la concurrence, régulés et créateurs de valeur ajoutée économique, sociale et environnementale. Au lieu de projeter la réalité dans un monde virtuel banalisé pour réinventer des rentes de monopole, utilisons les outils numériques pour améliorer le monde réel, en donnant la priorité à l’éducation et à la transition écologique. Le Zuckervers est mort, vive les métavers.
(Article paru dans Le Point du 17 novembre 2022)