Le plan « France nation verte » met l’État au centre du jeu. Mais, pour décarboner, il faut soutenir l’innovation et non la consommation.
La crise climatique s’amplifie. L’ONU prévoit une augmentation de 2,6 à 2,8 °C de la température en 2100, soit près du double de l’objectif de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris. Par ailleurs, les catastrophes climatiques se multiplient, des feux géants aux inondations du Pakistan et du Nigeria en passant par les sécheresses en Europe ou aux États-Unis. La guerre en Ukraine a des effets ambigus. À court terme, elle provoque une course aux énergies fossiles afin de trouver une alternative aux hydrocarbures russes. Elle fragmente aussi le système international, condamnant à l’échec la démarche multilatérale des COP. Mais, à moyen terme, elle accélère les changements structurels, obligeant à diminuer la consommation d’énergie et à investir dans les renouvelables. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le pic des émissions de carbone pourrait dès lors être atteint en 2025.
Ainsi, aux États-Unis, Joe Biden a fait voter un imposant plan pour la transition climatique qui mobilise 370 milliards de dollars. Le Japon s’est fixé un ambitieux programme avec la Japan’s Green Transformation. L’Union européenne a défini sa trajectoire de décarbonation avec Fit for 55. C’est dans ce cadre qu’Élisabeth Borne a présenté le projet France nation verte, qui entend donner corps à la planification écologique promise par Emmanuel Macron. Il repose sur 22 chantiers thématiques qui couvrent tous les domaines de la vie quotidienne – la mobilité, le logement, la production et la consommation – et 7 chantiers transversaux – des financements à l’emploi en passant par l’action territoriale. Il se propose de réorienter l’appareil d’État ainsi que les acteurs économiques et sociaux vers la transition écologique, en les rassemblant au sein du Conseil national de la refondation.
La planification, tombée en désuétude, revient en force avec la fin de l’ère néolibérale, qui réhabilite l’intervention de l’État. Elle paraît de fait adaptée aux défis de la transition écologique. Celle-ci exige en effet de coordonner les politiques climatique et macroéconomique ainsi que tous les secteurs de l’économie. Elle doit intégrer les conséquences sur l’emploi et les revenus ainsi que les contraintes de sécurité. Elle s’inscrit dans un horizon de long terme. Enfin, elle suppose de mobiliser l’État mais aussi les entreprises et les citoyens.
Si la configuration actuelle est très différente de celle de l’après-Seconde Guerre mondiale, la transition écologique présente des points communs avec la démarche du plan Monnet, lancé en 1946 par le général de Gaulle. L’objectif était de relever le pays de ses ruines, mais aussi de combler le retard accumulé en faisant émerger un nouveau modèle français. La priorité était donnée à la production, notamment dans les secteurs de base : les houillères, la sidérurgie, l’électricité, le ciment, l’agriculture. Le plan était cohérent avec les financements venant des États-Unis qui furent organisés dans le cadre du plan Marshall à partir de 1947. Enfin, il était le pivot d’une « économie concertée », fondée sur la convergence entre les pouvoirs publics, les entreprises et les syndicats, assurée par les commissions de modernisation.
Force est cependant de constater que les conditions qui firent le succès du plan Monnet sont loin d’être réunies aujourd’hui. L’ambiguïté reste entretenue autour de la décroissance, synonyme de paupérisation et de remise en cause de la démocratie. Il n’existe aucun modèle cohérent pour la transition écologique et l’État multiplie les injonctions contradictoires, notamment avec le bouclier tarifaire qui subventionne la consommation d’énergie à hauteur de 57 milliards d’euros – soit 2,3 % du PIB, c’est-à-dire le montant des investissements qui devraient être effectués pour lutter contre le réchauffement.
Les 22 chantiers du plan s’inscrivent dans le modèle insoutenable de la décroissance à crédit en privilégiant le soutien à la consommation au détriment de la production et de l’innovation, pourtant décisives. Les objectifs très volontaristes fixés dans le domaine de l’énergie, avec la sortie des véhicules thermiques en 2035, l’instauration des zones à faibles émissions ou la réduction des surfaces agricoles relèvent de la grande illusion, faute d’être accompagnés d’une évaluation de leur impact sur la décarbonation ainsi que d’études sur leur faisabilité économique et leur acceptabilité sociale. Enfin, le plan France nation verte obéit à une logique étatiste, autoritaire et centralisée, coupée des acteurs économiques et sociaux comme de nos partenaires européens et de nos alliés occidentaux, reproduisant les erreurs commises dans la gestion de l’épidémie de Covid.
La planification indispensable à la transition écologique mérite donc d’être repensée. Elle doit être guidée par l’objectif de la décarbonation et promouvoir un modèle de croissance qualitative qui intègre les contraintes de souveraineté face aux tyrannies du XXIe siècle, notamment pour l’énergie et les métaux stratégiques. La production et l’innovation sont prioritaires, a fortiori dans un pays où plus de la moitié de l’empreinte carbone est liée aux importations. La remise en cohérence des politiques publiques est impérative, notamment dans l’énergie, gouvernée par une loi de programmation absurde axée autour du démantèlement de la filière nucléaire. Les besoins financiers de la transition écologique, estimés entre 3 et 4 % du PIB, ne peuvent être couverts par les finances publiques, compte tenu du surendettement de l’État, et exigent de faire appel à l’épargne privée à travers des incitations fiscales.
Surtout, la planification française est vouée à l’échec si elle n’est pas couplée à une réorientation de la stratégie européenne, qui consiste à minimiser les coûts pour les consommateurs sans se préoccuper des filières de production. À l’exemple des marchés de l’énergie solaire, de la batterie ou de la voiture électrique, qui sont livrés au total-capitalisme chinois, ou encore de la débâcle du marché de l’électricité, en passe d’organiser l’exode des investissements et des emplois vers les États-Unis – qui subordonnent, de leur côté, les subventions au véhicule électrique à la présence de 50 % de métaux incorporés sur leur territoire.
Il n’y aura pas de planification écologique efficace sans l’instauration d’une taxe carbone, seule à même de modifier les comportements de production et de consommation, d’épargne et d’investissement. Il n’y aura pas davantage de transition écologique sans réindustrialisation, indissociable d’un ajustement du carbone aux frontières du grand marché européen.
(Article paru dans Le Point du 3 novembre 2022)