Le second tour de la présidentielle au Brésil aura lieu le 30 octobre. De l’élection dépend l’avenir de la démocratie en Amérique latine.
Le second tour de l’élection présidentielle au Brésil, prévu le 30 octobre, s’annonce très serré. Il sera décisif pour le pays comme pour l’Amérique latine. Le score de Jair Bolsonaro au premier tour (43,2 % des voix) contraste avec le bilan de son mandat, qui laisse le Brésil dans une situation critique. En raison de son déni du Covid et de son hostilité aux vaccins, le Brésil est l’un des pays les plus touchés par la pandémie. L’économie s’enfonce dans la stagflation. La confiance a été rompue avec les investisseurs, entraînant une fuite massive des capitaux. Dans le même temps, 125 millions de Brésiliens, soit 58,7 % de la population, souffrent de malnutrition, en hausse de 60 % en quatre ans.
Mais le plus inquiétant reste la dégradation de la démocratie brésilienne sous l’impulsion de Jair Bolsonaro, qui se pose en Donald Trump des tropiques. Il n’a eu de cesse de diviser le pays, à grand renfort de désinformation diffusée par les réseaux sociaux. Il a cultivé et justifié la violence, assouplissant le régime de détention des armes à feu, que possèdent désormais plus de 700 000 personnes, soit dix fois plus qu’en 2018. Il a encouragé la corruption. Il a jeté le discrédit sur l’État de droit et la Cour suprême. Il a poursuivi la politisation à outrance de la magistrature et de l’armée, en confiant plus de 6 000 postes à des militaires dans l’administration fédérale. Il a installé le doute autour de l’élection présidentielle et critiqué la légitimité du vote électronique, afin de se donner la possibilité d’en contester le résultat.
Sur la scène mondiale, Jair Bolsonaro a rompu avec le Brésil global promu par Lula pour se rapprocher des hommes forts et s’éloigner des démocraties occidentales. Il s’est isolé sur les enjeux cli-matiques, où il a systématiquement encouragé la déforestation et les projets miniers dans l’Amazonie. Il a renforcé la dépendance à la Chine, en confiant les réseaux de télécommunications à Huawei, et refusé d’appliquer les sanctions internationales contre la Russie.
Le Brésil se trouve à un moment de vérité. La relance de son développement, afin de conjurer un nouvel échec de son décollage économique, passe par la solution de ses problèmes structurels : la désindustrialisation précoce ; la faiblesse de la productivité sur fond d’insuffisance chronique de l’éducation et des infrastructures ; une bureaucratie corrompue ; la greffe d’un État providence de type européen, qui affecte notamment 13 % du PIB dans les retraites, sur une économie émergente sous-productive ; une pauvreté endémique et des inégalités immenses. Simultanément, le formidable potentiel du pays pour la transition écologique, notamment à travers la sanctuarisation des 60 % de forêt primaire encore préservés, reste inexploité. Au plan du continent, le Brésil peut jouer un rôle déterminant pour accélérer l’intégration régionale et la coopération dans la gestion des migrations et la répression du trafic de drogue.
L’élection présidentielle brésilienne se présente comme un test sur l’avenir de la démocratie en Amérique latine. Jair Bolsonaro, comme Donald Trump, n’est pas un accident ; le populisme d’extrême droite possède des racines très profondes au Brésil, où la liberté politique est fragile et récente. Le risque de contestation du résultat par Jair Bolsonaro et de violences de la part de ses partisans, y compris dans les forces de sécurité, est très élevé en cas de défaite par une marge étroite. Surtout, quel que soit le résultat, le Brésil sera polarisé et coupé en deux peuples difficilement réconciliables.
S’il veut être l’homme du renouveau, Lula ne doit donc pas seulement changer de stratégie de campagne, en cessant de célébrer ses présidences passées pour proposer un programme d’action destiné à affronter les problèmes présents, en donnant des garanties sérieuses pour lutter contre la corruption. Il doit surtout, fort de son pragmatisme, s’imposer comme l’homme de la réconciliation de la nation.
(Article paru dans Le Point du 13 octobre 2022)