Les tyrannies du XXIe siècle sont aujourd’hui rattrapées par les vices propres au pouvoir absolu.
En Chine, le 20e congrès du Parti communiste, au terme d’une chorégraphie parfaite, célèbre le pouvoir absolu de Xi Jinping et la toute-puissance du Parti communiste. En Russie, Vladimir Poutine cherche à sanctuariser ses conquêtes en Ukraine par la menace nucléaire et poursuit une guerre hybride tous azimuts contre une Europe vulnérable. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan utilise son rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine pour accélérer son expansion en Méditerranée orientale, au Moyen-Orient et dans le Caucase. En Iran, le régime des mollahs poursuit à marche forcée sa course à l’atome et consolide l’empire chiite construit grâce à la guerre d’Irak puis au retrait chaotique des États-Unis du Moyen-Orient.
Le contraste semble cruel avec les démocraties. Depuis le début du siècle, elles n’ont cessé de reculer jusqu’à n’être plus que 21 sur 167 États classés par The Economist. Elles ont perdu le contrôle de l’ordre mondial, du capitalisme, de la santé et du climat. Elles sont divisées et minées par les populismes. Elles conjuguent crise de leadership, délégitimation de leurs institutions, ravages de la stagflation, déstabilisation des classes moyennes et discrédit moral.
La succession des chocs, du krach de 2008 à la guerre d’Ukraine en passant par l’épidémie de Covid, semble consacrer la supériorité des régimes autoritaires et confirmer le déclin des démocraties.
En réalité, les tyrannies du XXIe siècle sont aujourd’hui rattrapées par les vices propres au pouvoir absolu.
En Chine, le retour aux principes maoïstes se traduit par le primat de l’idéologie sur l’économie, mettant fin au cycle des Quarante Glorieuses :
- La croissance, qui s’était élevée en moyenne à 9 % par an depuis le début des années 1980, stagne désormais.
- La stratégie « zéro Covid », maintenue contre toute raison sanitaire, entraîne des confinements en série qui désorganisent la production et gèlent la consommation. La reprise en mains des secteurs de la finance, de la technologie et de l’enseignement bride l’innovation.
- Le krach immobilier et la sécheresse confortent le ralentissement. Le découplage d’avec l’Occident handicape les exportations.
- Au total, la conversion du modèle chinois vers la demande intérieure et vers un développement soutenable – alors que le pays est devenu le premier émetteur de carbone de la planète – est bloquée. Le modèle de Pékin fait de moins en moins rêver et de plus en plus peur.
- Le bilan de l’affirmation agressive des ambitions de puissance de Pékin est tout aussi ambigu. La normalisation de Hongkong a cassé son dynamisme et fait la fortune de Singapour tout en galvanisant la volonté d’indépendance de Taïwan.
- Les revendications sur la mer de Chine et les menaces d’une invasion de Taïwan ont provoqué le réarmement des démocraties asiatiques – du Japon à l’Australie en passant par la Corée du Sud. Enfin, le partenariat stratégique et « l’amitié sans limite » avec la Russie de Poutine se révèlent être une impasse avec l’enlisement et les revers de Moscou en Ukraine.
Pour la Russie, l’invasion de l’Ukraine, qui devait consacrer sa renaissance impériale, tourne au désastre. Désastre militaire avec la dislocation de l’armée russe et l’épuisement de son potentiel humain et matériel. Désastre stratégique avec l’émergence d’une nation ukrainienne tournée vers l’Occident, le réarmement de l’Allemagne et du Japon, le réengagement des États-Unis en Europe, la résurrection de l’Otan élargie à la Suède et à la Finlande, la dépendance complète à la Chine.
L’Iran des mollahs se trouve confronté à l’insurrection des femmes, de la jeunesse et des villes contre la théocratie et la paupérisation d’une population sacrifiée à la constitution d’un empire chiite. Et Erdogan parvient de plus en plus difficilement à masquer la faillite de l’économie turque sous ses incessants revirements diplomatiques.
Au total, les empires autoritaires fondés sur la terreur et le mensonge sont loin d’avoir gagné. Ce qui semble faire leur force constitue leur plus grande faiblesse, à savoir la concentration d’un pouvoir illimité entre les mains d’un autocrate, donnant raison à Lord Acton qui soulignait que « le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument ». Des hommes continuent par ailleurs à risquer leur vie pour la liberté à Kiev et à Taïwan, à Téhéran et à Istanbul, au Myanmar, à Alger ou à Caracas. Les démocraties n’ont donc pas encore perdu. Mais leur avenir dépendra tant de leur capacité à endiguer militairement et technologiquement leurs adversaires sans leur faire ouvertement la guerre que de leur résilience face aux attaques hybrides. Leur réarmement ne doit pas seulement être militaire mais aussi économique, intellectuel et moral.
La liberté n’est pas une rente ; elle est plus que jamais un combat.
(Chronique parue dans Le Figaro du 17 octobre 2022)