Après la présentation de son mini-budget, la Première ministre britannique Liz Truss est déjà fragilisée. La situation du Royaume-Uni est critique.
Alors que sont dévoilées les premières pièces à l’effigie du roi Charles III, le Royaume-Uni est frappé par une crise financière d’une rare violence. En quelques jours, la livre est tombée à son plus-bas historique contre le dollar (1,03), tandis que les taux d’intérêt se sont envolés, atteignant respectivement 4,55 % et plus de 5 % pour legilt à dix et à trente ans.
À l’origine de la tempête, le programme économique annoncé par Liz Truss et son chancelier de l’Échiquier, Kwasi Kwar-teng. Il juxtapose des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises pour limiter la hausse de l’énergie dont le coût reste incertain, compris entre 100 milliards et 150 milliards de livres, et surtout des baisses d’impôts non financées à hauteur de 45 milliards de livres et concentrées sur les plus riches avec la suppression de la tranche à 45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 livres. S’ajoutant aux critiques contre l’indépendance de la Banque d’Angleterre, le limogeage du secrétaire permanent du Trésor et le refus de l’évaluation par l’Office for Budget Responsibility, ce mini-budget a déclenché une panique financière.
Le bond des taux d’intérêt a provoqué une débâcle du marché obligataire, mais aussi déstabilisé les fonds de pension ainsi que le marché immobilier, 8,3 millions de ménages ayant souscrit des emprunts comportant des taux variables. La Banque d’Angleterre a, dès lors, été contrainte d’intervenir en urgence, le 28 septembre, pour réassurer le système financier, en annonçant un plan d’achats d’obligations d’État à hauteur de 65 milliards. Et ce en contradiction frontale avec sa stratégie de lutte contre l’inflation fondée sur la hausse des taux et sur la vente de 10 % de son stock de 865 milliards de livres de gilts à partir de novembre – dont la valeur a été amputée de quelque 200 milliards par le choc. Simultanément, le FMI a critiqué le programme de baisse des impôts, en soulignant qu’il accroissait les inégalités alors que le Royaume-Uni est le pays européen où elles sont les plus élevées et que les ménages modestes voient leur pouvoir d’achat laminé par l’inflation et l’explosion des prix de l’énergie.
Le krach financier s’explique aussi plus profondément par le Brexit. Boris Johnson a prétendu le réaliser tout en créant une situation insoluble en Irlande du Nord ; Liz Truss démontre qu’il ne peut pas fonctionner. Le modèle gagnant qui faisait du Royaume-Uni la tête de pont pour les investissements et les opérations au sein du grand marché européen n’a effectivement pas été remplacé. Le projet de « Global Britain » se réduit à un slogan électoral. Le Royaume-Uni se trouve en réalité coupé de son premier partenaire, l’Union, au moment où la mondialisation se reconfigure autour de grands blocs régionaux, mais aussi des capitaux internationaux. Il n’est plus qu’une île périphérique, dont le gouvernement est de moins en moins crédible, la démocratie de plus en plus fragile, la vie politique de plus en plus dominée par l’idéologie.
Pour Liz Truss, le temps est compté. L’annulation du programme de baisse des impôts qui constituait le cœur de sa stratégie sape son autorité. Pour le Royaume-Uni, la seule solution consiste à stabiliser ses finances publiques et à favoriser la croissance en rouvrant le pays aux talents étrangers et en investissant massivement dans les infrastructures, la transition écologique, l’éducation, la recherche et l’innovation. Enfin, pour les pays européens conjuguant stagnation de la croissance et surendettement, cette crise financière constitue un avertissement sans frais. L’argent n’est plus ni gratuit ni illimité. Les marges de manœuvre des banques centrales sont réduites par l’inflation. Le modèle de la croissance à crédit est caduc. La protection offerte par l’euro n’est ni absolue ni acquise pour l’éternité. Les nations qui voudront l’ignorer finiront entre les mains du FMI, comme le Royaume-Uni en 1976.
(Article paru dans Le Point du 6 octobre 2022)