Le nucléaire est une clé majeure pour assurer la défense, la souveraineté énergétique et la transition écologique de la France.
Le nucléaire, considéré comme une relique de la guerre froide au plan militaire et discrédité par l’accident de Fukushima au plan civil, effectue un retour en force avec la guerre d’Ukraine. Elle réhabilite tant la dissuasion, indispensable pour répondre à la menace existentielle que la Russie fait peser sur l’Europe, que le nucléaire civil, sans lequel elle ne peut assurer ni sa souveraineté énergétique, ni sa transition climatique.
L’invasion de l’Ukraine valide l’efficacité de la dissuasion. La Russie, comme pour l’annexion de la Crimée en 2014, a sanctuarisé son agression et son territoire, en exerçant d’emblée la menace d’une escalade nucléaire. À l’inverse, elle a veillé à éviter toute frappe sur un pays membre de l’Otan. À la décision de Vladimir Poutine de mettre ses forces nucléaires en « régime spécial de combat » a répondu l’intensification des patrouilles aériennes et maritimes sans changement de posture de la part des alliés.
En validant la dissuasion, la guerre d’Ukraine encourage aussi la prolifération. La Russie a violé le mémorandum de Budapest de 1994, qui prévoyait le démantèlement des armes présentes sur le territoire de l’Ukraine contre la garantie de sa souveraineté et de ses frontières. Ce pays, après l’Irak, la Libye, voire la Syrie, se trouve ainsi envahi et en partie occupé après avoir renoncé à l’arme atomique. Ceci ne peut que conforter les États en rupture de ban avec la communauté internationale, à commencer par la Corée du Nord ou l’Iran, dans leur volonté de développer une capacité nucléaire, avec pour effet d’inciter demain la Turquie, l’Arabie saoudite ou l’Égypte à les imiter.
Le rôle du nucléaire civil est tout aussi décisif dans le deuxième front ouvert par Moscou avec la guerre du gaz en Europe. Elle a provoqué un choc énergétique, qui plonge la zone euro dans la récession, crée un risque de défaut en chaîne des entreprises, alimente la colère sociale et relance les mouvements populistes. Elle souligne la vulnérabilité du continent face à sa double dépendance aux énergies fossiles et à la Russie. Elle oblige à mettre en place des mesures ruineuses de soutien du pouvoir d’achat des ménages qui atteignent 6 % du PIB au Royaume-Uni, 3 % en Allemagne, 2 % en France et 1,8 % en Italie. Elle contraint à recourir massivement au charbon – qui assurera le tiers de la production en Allemagne – et au fuel pour la génération d’électricité, ce qui constitue une aberration écologique.
L’objectif de suppression des émissions implique a minima le doublement de la production d’électricité en Europe à l’horizon 2050. Or l’électricité nucléaire est la seule qui soit à la fois décarbonée, pilotable et souveraine. Il n’y a donc pas de transition écologique sans une part importante de nucléaire dans le mix énergétique européen, ainsi que l’a démontré l’AIEA.
La France aurait dû être parfaitement préparée pour affronter les crises géopolitique et énergétique. Elle est le seul pays de l’Union à disposer de la dissuasion et assure 70 % de sa production électrique à partir du nucléaire qui garantit normalement son indépendance et une capacité d’exportation. Or il n’en est rien.
Sur le plan militaire, le système de la dissuasion est vieillissant et a souffert de coupes dans la recherche. Il doit être entièrement modernisé au cours de la décennie pour conserver sa crédibilité. Sur le plan civil, le potentiel de production a été amputé par la fermeture irrationnelle de la centrale de Fessenheim et par la maintenance défaillante du parc, ce qui conduit à l’arrêt de 32 réacteurs sur 76 et devrait limiter la production à 300 TWh contre 393 TWh en 2018. Dans le même temps, EDF est en quasi-faillite, conjuguant des pertes de 5,3 milliards pour le premier semestre 2022 et une dette de 43 milliards, à laquelle s’ajoutent les coûts du grand carénage des centrales pour 50 milliards d’euros et de la construction de 6 nouveaux EPR pour 50 à 60 milliards d’euros. La responsabilité de ce désastre revient entièrement à l’État qui a méthodiquement détruit l’un des rares pôles d’excellence de notre pays.
La France ne peut assurer ni sa défense, ni sa souveraineté énergétique, ni sa transition écologique sans réinvestir massivement dans le nucléaire. Ceci appelle un effort conséquent dans la loi de programmation militaire qui doit renouveler les deux composantes de la dissuasion ainsi qu’une révision de la politique énergétique autour de quatre priorités : l’extension de la durée de vie des centrales actuelles jusqu’à 60 ans ; le lancement d’une nouvelle génération standardisée de réacteurs ; le soutien de l’innovation dans les petits réacteurs modulaires et les réacteurs de quatrième génération ; la refondation du marché européen de l’électricité autour de l’offre et de la sécurité énergétique.
Le nucléaire n’est en rien une survivance du passé ; il est une clé majeure pour la défense de la liberté et la lutte contre le dérèglement climatique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 septembre 2022)