Comme toute grande crise, le choc énergétique peut être une chance. À condition de cesser de naviguer à vue.
La France affronte une crise énergétique sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970 à la suite de la décision de Vladimir Poutine de suspendre les livraisons de gaz russe à l’Europe, actée par la fermeture de Nord Stream 1 fin août. Mais la guerre en Ukraine joue aussi le rôle de révélateur d’une crise plus large et plus durable, qui touche un modèle économique insoutenable au regard du dérèglement climatique et de la dépendance vis-à-vis des empires autoritaires, qu’il s’agisse de l’énergie russe ou des biens essentiels importés de Chine. Un modèle dont l’épidémie de Covid avait déjà souligné la vulnérabilité.
Il est vital de mettre en place une réponse globale à la crise énergétique en tirant les leçons des erreurs commises face à la pandémie. Or, pour l’heure, la France fait l’inverse.
L’épidémie de Covid a souligné les lacunes de notre pays en matière de gestion de crise : absence de cap et oscillation entre la dramatisation et l’illusion du retour à la normale ; défaut d’anticipation de l’État ; krach du système de santé ; déficience de l’industrie et de la recherche nationales incapables de produire un vaccin ; pilotage centralisé et autoritaire ; défiance croissante entre citoyens et dirigeants. Le déversement des dépenses publiques a tenu lieu de stratégie, au prix de l’explosion de la dette portée à 112,9 % du PIB fin 2021.
Emmanuel Macron et son gouvernement ont peu appris de la pandémie puisque les mêmes pathologies réapparaissent face à la crise énergétique. La confusion règne entre les mises en garde autour de la fin de l’abondance et la volonté de rassurer à tout prix en affirmant que les ménages ne subiront aucune coupure de courant. La France se contente de discourir sur la sobriété sans élaborer de plans d’économies d’énergie et de rationnement, sans en faire la pédagogie auprès de la population. La procédure du Conseil de défense a été réactivée pour l’énergie après la santé, alors qu’elle est inadaptée à la gestion d’une crise civile, qu’elle dévoie le fonctionnement des institutions, qu’elle interdit la coopération de l’État avec les élus comme avec les acteurs économiques et sociaux.
La riposte au risque de pénurie a été limitée à la diversification des approvisionnements gaziers, sans qu’une réflexion de fond soit engagée sur l’offre et les investissements nécessaires pour restaurer l’autonomie énergétique du pays. La gestion de crise s’est résumée à l’extension du « quoi qu’il en coûte » de la santé à l’énergie à travers le bouclier tarifaire, qui revient à subventionner la consommation d’énergie à hauteur de 2 % du PIB, envoyant un signal prix désastreux pour la réduction de la dépendance à l’énergie russe comme pour la transition écologique.
Enfin, il est prévu de reporter tout l’ajustement en cas de pénurie sur les entreprises, ce qui sera à la fois inefficace – car déresponsabilisant les ménages – et dévastateur pour l’industrie au moment où son renouveau est indispensable pour la restauration de notre souveraineté.
La France accumule ainsi les retards sur ses voisins. L’Allemagne a engagé dès l’été un vaste programme d’économies d’énergie, remis en question le dogme de la sortie du nucléaire, lancé le raccordement d’un terminal flottant de GNL à Lubmin qui sera opérationnel dès le 1er décembre 2022 – contre septembre 2023 au mieux pour le Cape Ann au Havre -. L’Espagne et le Portugal ont fait œuvre de précurseurs en déconnectant les tarifs de l’électricité de ceux du gaz. L’Union organise la solidarité entre les Vingt-Sept autour d’un objectif de diminution de 15 % de la consommation d’énergie et se résout à engager en urgence une réforme des règles du marché de l’électricité afin de briser l’alignement des prix sur ceux du gaz qui ont été multipliés par 14. La prochaine étape devra consister en une révision du « Green Deal » pour prendre en compte les impératifs de la sécurité énergétique.
Comme toute grande crise, le choc énergétique peut être une chance en obligeant à effectuer rapidement des changements qui auraient été très difficiles et longs à réaliser.
Cela implique de cesser de naviguer à vue et de subir les urgences pour repenser une stratégie énergétique autour de l’autonomie d’une part, et de la transition écologique guidée par la décarbonation d’autre part. Du côté de l’offre, il est impératif, à court terme, d’accélérer par tous les moyens la remise en service du parc nucléaire d’EDF (seules 24 centrales sur 56 produisent) et, à long terme, de réviser la programmation pluriannuelle afin de prendre en compte la hausse inévitable de la production d’électricité ainsi que le déplafonnement du nucléaire. Du côté de la demande, une politique ambitieuse d’économie d’énergie doit être déployée. Face à la crise énergétique, les citoyens ne sont pas le problème qu’il faut tenir à distance ; ils sont la solution qu’il faut activer.
(Chronique parue dans Le Figaro du 5 septembre 2022)