Après la bouffée d’air Draghi, les législatives du 25 septembre s’annoncent explosives pour l’Italie et l’Europe.
Les élections législatives du 25 septembre constituent un tournant pour l’Italie. Touchée de plein fouet par l’épidémie de Covid, après la tourmente de l’euro et la crise des migrants, elle a connu un spectaculaire renversement en 2021, conjuguant une croissance de 6,6 %, le renouveau de son attractivité pour les investisseurs et la restauration de sa crédibilité internationale, symbolisée par la réussite du G20 de Venise. Puis la guerre d’Ukraine et surtout la démission de Mario Draghi, l’auteur du miracle italien, ont tout remis en question, menaçant de ramener Rome à son statut d’homme malade de l’Europe.
Pour l’Union aussi, le scrutin est décisif. Avec 192 milliards d’euros de subventions et de prêts, l’Italie est le premier bénéficiaire du plan Next Generation EU et décidera de son succès ou de son échec. Sous l’autorité de Mario Draghi et alors même que ses liens avec Moscou sont très étroits, elle a joué un rôle déterminant dans la mobilisation des Vingt-Sept pour soutenir l’Ukraine et sanctionner la Russie après l’invasion du 24 février. Les législatives italiennes constituent ainsi un test clé de la capacité de résilience des sociétés européennes face aux conséquences de la guerre d’Ukraine et de leur volonté de consentir les efforts que demande la défense de la liberté.
Or ces élections ne pouvaient intervenir à un pire moment, tant l’Italie concentre tous les risques. Elle est particulièrement exposée à la Russie, dont elle est le 4e partenaire et le 2e dans l’Union. Son mix énergétique repose à 83 % sur le pétrole, le gaz et le charbon, qui dépendent des importations russes respectivement à hauteur de 17 %, de 40 % et de 50 %. Même si la dépendance au gaz russe a été réduite de 40 à 25 % par une stratégie agressive de diversification des approvisionnements auprès de l’Algérie, de l’Égypte, du Qatar, de l’Angola, du Congo et du Mozambique, le choc énergétique s’annonce d’une rare violence, menaçant quelque 120 000 entreprises et 370 000 emplois au cours des six prochains mois. Le risque d’une nouvelle récession pointe, alors que l’inflation s’est installée à plus de 8,5 % et que le chômage touche 9,3 % de actifs.
Simultanément, le déficit public atteint 6 % alors que la dette culminait à 2 755 milliards d’euros, soit 152,6 % du PIB, en avril 2022, ranimant le spectre d’une crise de l’euro. Enfin, le pays doit réaliser 55 réformes d’ici à la fin 2022 pour obtenir le déblocage de 19 milliards d’euros supplémentaires d’aides européennes, ce qui paraît improbable après le départ de Mario Draghi.
Le scrutin du 25 septembre risque dès lors d’entraîner le regain de l’extrémisme et de l’instabilité politiques en Italie, qui a vu se succéder 64 gouvernements depuis 1946. L’alliance des droites fait la course en tête avec de 45 à 47 % d’intentions de vote, ce qui, en raison du mode de scrutin – avantageant les coalitions –, pourrait lui donner 60 % des voix au Parlement. Elle est dominée par Fratelli d’Italia, le parti néofasciste qui, fort de la popularité de Giorgia Meloni et du fait de n’avoir jamais été associé au pouvoir, est crédité de 22 à 25 % des voix. La gauche est à l’inverse divisée et plafonne autour de 30 %.
La victoire de la coalition des droites conduite par Giorgia Meloni – qui a pris ses distances avec le fascisme et prétend s’inscrire dans la continuité de la politique étrangère italienne fondée sur l’appartenance à l’Union européenne et l’Otan – constituerait une rupture majeure. Son programme implique en effet un brutal changement de cap : il donne la priorité au contrôle de l’immigration, à la répression de l’islam, à des baisses massives d’impôts à travers l’instauration d’une flat tax de 15 % sur les revenus, à la révision des règles de l’Union sur les dépenses publiques – ce qui est incompatible avec la poursuite du plan de relance. Il propose aussi de réviser la Constitution pour évoluer vers un régime présidentiel.
Par ailleurs, les dirigeants de la droite italienne – à commencer par Silvio Berlusconi, à l’origine de la dépendance au gaz russe – revendiquent leur proximité avec la Hongrie de Viktor Orban et la Russie de Vladimir Poutine. La Ligue de Matteo Salvini, très critique à l’égard de l’Union durant la pandémie et sur les conditions du plan de relance, a pour sa part condamné les sanctions visant la Russie et l’envoi d’armes à l’Ukraine. Dès lors, l’unité des Vingt-Sept et l’effort de réarmement de l’Europe face aux ambitions impériales de Poutine se trouveraient inévitablement compromis.
L’Italie a souvent servi de laboratoire politique : elle a inventé le fascisme dans les années 1920, la démocratie chrétienne après la Seconde Guerre mondiale et la fusion de la démagogie, des affaires et des médias avec Silvio Berlusconi, qui préfigura l’ascension de Donald Trump. Les élections du 25 septembre pourraient bien marquer le retour en force du risque populiste en Europe, comme aux États-Unis. La pandémie l’avait dégonflé en dévoilant l’irresponsabilité des démagogues ; la fatigue des opinions devant la guerre d’Ukraine et l’enchaînement perpétuel des crises pourrait le relancer.
(Article paru dans Le Point du 1er septembre 2022)