La protection des océans est longtemps restée le parent pauvre des actions environnementales, notamment lors des conférences internationales.
La planète brûle, comme le rappellent les feux de forêt géants. Mais l’avenir de la terre se joue aussi en mer. Les océans occupent en effet 71 % de sa surface, produisent 70 % de l’oxygène, absorbent 90 % de la chaleur et le tiers des émissions de carbone. Ils sont le principal refuge de la biodiversité, abritant de 1 à 3 millions d’espèces. Enfin, ils contribuent de manière décisive aux activités humaines, qu’il s’agisse d’alimentation, d’énergie, de transport ou de tourisme. Mais l’océan est aujourd’hui menacé par cette terre dont il assure la régulation. Le premier dérèglement porte sur le réchauffement climatique, avec une hausse de 1 degré depuis le XIXe siècle de la température des mers. La pollution par le rejet de 150 millions de tonnes de plastique, dont la durée de vie est de quatre cents ans, constitue le deuxième péril mortel.
La lutte contre les plastiques relève aujourd’hui de l’état d’urgence. Du fait de la croissance démographique et économique, leur consommation augmentera de 460 millions de tonnes à 1 231 millions de tonnes d’ici à 2060, générant 1 014 millions de tonnes de déchets et 493 millions de tonnes de rejets, dont 80 % dans les pays émergents. Avec des conséquences dramatiques. Pour le climat, puisque les émissions de carbone dégagées par le cycle du plastique fossile progresseraient de 1,8 à 4,3 gigatonnes. Pour la biodiversité, avec la disparition de 100 000 mammifères marins et de 1 million d’oiseaux par an. Pour la santé humaine, car nous mangeons ce que nous polluons. Enfin, pour l’économie avec des effets destructeurs pour la pêche et le tourisme. L’humanité ne peut laisser le plastique étouffer les océans. Leur sauvegarde impose d’agir rapidement sur tout son cycle en limitant sa consommation, en améliorant le recyclage, en fermant les voies de rejet et en nettoyant les mers, notamment en éradiquant le 6e continent de plastique qui s’est formé dans le Pacifique.
L’Union européenne a ouvert la voie avec la directive du 5 juin 2019 qui restreint l’accès au grand marché des plastiques à usage unique, élargit la responsabilité des producteurs, organise la collecte sélective des bouteilles et des engins de pêche. La France, à travers la loi anti-gaspillage du 10 février 2020, s’est fixé pour objectif la suppression du plastique en 2040, grâce à des plans d’action de cinq ans dont le premier prévoit de recycler la totalité des emballages d’ici à 2025 et institue le principe de la responsabilité des producteurs de jouets, d’articles de sport, de bricolage et de jardin… De premiers résultats positifs ont été enregistrés avec la diminution de moitié des exportations européennes de déchets en quatre ans. Cependant, la production de plastique a augmenté en 2021 de 10,2 % dans l’UE et de 6,1 % en France, notamment en raison des besoins liés à l’épidémie de Covid.
La protection des océans est longtemps restée le parent pauvre des politiques de l’environnement, notamment au sein des COP. Les conférences des Nations unies sur les océans marquent un tournant. La deuxième, qui s’est déroulée à Lisbonne fin juin, a érigé en priorité la lutte contre la pollution par le plastique. Mais la reconnaissance des océans comme bien commun de l’humanité se heurte à la volonté des États de se les approprier, à l’image des visées de Pékin sur la mer de Chine du Sud, de Moscou sur la mer Noire ou l’Arctique, d’Ankara sur la Méditerranée orientale. L’engagement dans la lutte contre la pollution plastique demeure très inégal, fort au sein du G7, limité en Asie qui en est le premier producteur mondial. La conversion des pays du Sud implique des transferts technologiques et une puissante aide pour la gestion des déchets, surtout en Afrique dont la consommation sera multipliée par six d’ici à 2060. Par ailleurs, l’action des États ne suffira pas. Il est impératif de mobiliser les acteurs économiques pour dynamiser l’innovation.
L’océan est exemplaire de la contradiction qui traverse l’histoire universelle du XXIe siècle. Sa préservation constitue un enjeu et une urgence planétaires. Mais elle est menacée par la confrontation entre les démocraties, les empires autoritaires et les pays du Sud.
(Article paru dans Le Point du 4 août 2022)